Dans une société aussi plurielle que le Québec contemporain, l’absence de représentativité réelle dans les institutions politiques est une faille démocratique persistante. Il ne s’agit pas d’un enjeu secondaire ou symbolique, mais d’une condition essentielle à la légitimité et à l’efficacité des décisions publiques. La politique québécoise doit désormais se donner les moyens de refléter ceux et celles qu’elle prétend servir

La politique est l’un des espaces les plus puissants de définition du vivre-ensemble. C’est là que se décident les lois, les budgets, les priorités sociales. Pourtant, au Québec, les institutions politiques, notamment à l’échelle provinciale, peinent à refléter la diversité réelle de la population.

À l’Assemblée nationale, les élu·es  neoquébécois.es, issu.e.s des communautés autochtones, ou encore des groupes lgbtq+, demeurent largement minoritaires. Cette sous-représentation est d’autant plus flagrante lorsqu’on la compare à la réalité démographique des grands centres urbains comme Montréal ou Laval, où près de la moitié des résident·es s’identifient à des minorités visibles ou à des communautés culturelles.

Cette dissonance entre la société et ceux qui la gouvernent crée un biais structurel. Elle alimente le sentiment d’exclusion politique et réduit la capacité de certaines communautés à se reconnaître dans les institutions. Elle limite aussi la richesse des perspectives dans l’élaboration des politiques publiques.

Une présence encore fragile et mal outillée

Quand des personnes issues de groupes historiquement marginalisés accèdent à la sphère politique, leur présence est souvent accueillie avec ambivalence. Tantôt instrumentalisée pour illustrer un progrès, tantôt soupçonnée de « militantisme identitaire », elle reste fragile si elle n’est pas soutenue par une volonté structurelle de transformation des partis et des institutions.

Dans plusieurs cas, ces élu·es doivent se conformer aux règles non dites, aux codes implicites, à une culture politique parfois réfractaire aux parcours atypiques. Ils et elles doivent souvent prouver qu’ils sont “neutres”, “raisonnables”, “représentatifs de tous” — comme si leur expérience propre devait s’effacer pour être jugée légitime.

Ce double standard nuit à la qualité du débat démocratique. On ne peut pas espérer enrichir la politique québécoise sans laisser de l’espace à des voix porteuses d’autres récits, d’autres priorités, d’autres rapports au pouvoir.

La faible représentativité en politique n’est pas un problème d’image. C’est un déficit démocratique. Lorsque certains groupes sont absents ou marginalisés des lieux de décision, ce sont leurs enjeux, leurs urgences, leurs réalités qui sont invisibilisés. Cela affecte concrètement la manière dont on conçoit les politiques d’éducation, de santé, d’emploi, de sécurité publique, de logement ou d’immigration.

Changer les règles du jeu et pas seulement les visages

La légitimité des institutions politiques repose sur leur capacité à incarner un « nous » collectif. Ce « nous », au Québec, s’est transformé depuis longtemps. Il est francophone, certes, mais aussi multilingue, pluriethnique, plurilingue, multiconfessionnel. Il est urbain et rural, autochtone et allochone, jeune et âgé, enraciné et nouvellement arrivé. Continuer à faire comme si une partie seulement de ce « nous » avait les clés du pouvoir, c’est fragiliser le contrat social.

Ce qu’il faut, ce n’est pas une diversité de façade, encore moins une compétition entre “minorités visibles”. Il faut repenser l’architecture politique elle-même pour qu’elle soit réellement inclusive. Cela passe par :

  • des mécanismes de recrutement plus ouverts et accessibles dans les partis politiques ;

  • des formations à l’interne sur les biais systémiques et l’inclusion ;

  • un accompagnement adapté pour les candidat·es issues de milieux marginalisés ;

  • une valorisation des expériences communautaires, associatives ou militantes comme des parcours politiques légitimes.

Il ne s’agit pas de faire de la politique autrement pour quelques-uns, mais de refaire de la politique un espace collectif, accessible, perméable aux réalités contemporaines.

Représenter, c’est construire le Québec d’aujourd’hui

La société québécoise se transforme. Ses citoyen·nes portent des trajectoires multiples, des identités complexes, des revendications nouvelles. La politique, si elle veut rester pertinente et mobilisatrice, doit refléter cette complexité.

Représenter, ce n’est pas occuper un siège pour une catégorie. C’est enrichir le débat, élargir les priorités, rendre l’action publique plus juste. Le Québec a les moyens — historiques, intellectuels, humains — de se doter d’une politique à la hauteur de sa diversité. Il reste à faire le choix d’ouvrir véritablement les portes du pouvoir.

(c) Cyrille Ekwalla (Août 2025)

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