MONTRÉAL : QUAND LA LUTTE AU RACISME DESCEND D’UN CRAN

À Montréal, la nouvelle architecture politique envoie un message inquiétant : la lutte au racisme, l’équité, la diversité, l’inclusion et les relations avec les peuples autochtones semblent rétrogradées dans l’organigramme du pouvoir. Un déclassement symbolique qui justifie une interpellation claire de la nouvelle administration.

Cette réflexion est née à la suite d’une étude de l’Observatoire des communautés noires du Québec sur la représentation des personnes noires dans les organismes publics. En sollicitant ministères, grandes municipalités et sociétés d’État, l’Observatoire constate qu’une majorité d’institutions sont incapables – ou peu enclines – à dire clairement combien de personnes noires elles emploient et à quels niveaux de responsabilité. Là où des chiffres existent, ils confirment ce que les communautés décrivent depuis longtemps : une présence noire marginale aux postes de décision, et presque absente dans les ressources humaines, là où se décident embauches et promotions.

Au fil de la lecture, un point choque particulièrement : malgré son image de « ville progressiste », la Ville de Montréal n’a pas été en mesure de fournir des données sur ses employés noirs. Pas de chiffres, pas de ventilation, pas de transparence minimale.

Ce silence statistique est déjà un problème sérieux. Mais il prend une tout autre dimension lorsqu’on le met en regard d’un deuxième élément : la nouvelle architecture du pouvoir municipal.

Quand les dossiers antiracistes quittent le haut de l’affiche

Sous l’administration précédente, au comité exécutif de la Ville, des responsabilités comme :

  • la lutte au racisme et aux discriminations systémiques ;
  • la diversité et l’inclusion sociale ;
  • les relations avec les peuples autochtones

étaient portées par des membres de plein droit du comité exécutif. Autrement dit : ces enjeux étaient affichés comme des priorités politiques majeures, assumées au plus haut niveau du pouvoir municipal.

« Les organigrammes et les chiffres, eux, ne mentent pas. »

Avec l’arrivée du nouveau comité exécutif, une bascule s’opère. En parcourant la nouvelle répartition des responsabilités, on constate que :

– la lutte au racisme disparaît comme intitulé central ;
– la diversité et l’inclusion ne figurent plus comme grand mandat autonome, mais se retrouvent rattachées à un conseiller associé aux services culturels, à la diversité et à l’inclusion ;
– les relations avec les peuples autochtones deviennent beaucoup moins visibles dans l’architecture politique officielle.

Sur le papier, on pourra toujours dire :  « Les dossiers existent encore, ils sont quelque part. ». Pour preuve, il y a quelques jours, les commissions « sécurité publique » et « développement social et diversité montréalaise » se sont engagées  » … à reconnaître, à travailler et à accélérer les changements organisationnels en matière de lutte au racisme et aux discriminations systémiques. » (*)

Mais en politique, la place que l’on occupe dans l’organigramme n’est jamais neutre. Passer d’une responsabilité portée par un membre de plein droit à un mandat de conseiller associé, c’est un changement de rang, de poids, de symbole.

Sommes-nous en droit de nous demander si, avec la nouvelle administration, la lutte au racisme, l’EDI et les relations avec les peuples autochtones sont discrètement déclassées dans la hiérarchie des priorités ? Les faits laissent à le penser.

Lutte contre le racisme et Relations avec les autochtones : quel avenir ?

Lorsqu’on abaisse le rang politique de ces enjeux, on fragilise automatiquement les outils censés porter cette transformation au quotidien, au premier rang desquels :

– le Bureau de la commissaire à la lutte au racisme et aux discriminations systémiques (BRDS) ;
– le Bureau du commissaire aux relations avec les peuples autochtones (BRPA).

Créé après la reconnaissance officielle du racisme systémique par la Ville, le BRDS a un mandat clair : transformer la machine municipale de l’intérieur, agir sur les politiques de ressources humaines, les pratiques administratives, les mécanismes de plainte, la culture organisationnelle, et rappeler que l’antiracisme est une responsabilité institutionnelle.

Ce Bureau a commencé à produire des redditions de comptes, des plans d’action, des recommandations. Tout n’est pas parfait, mais c’est un levier concret pour faire bouger une structure lourde.

Sauf que, pour être efficace, un tel organe a besoin de deux conditions minimales :

1. Des données solides : quand la Ville est incapable de dire combien de personnes noires travaillent en son sein, on demande au BRDS de piloter une transformation… sans tableau de bord.
2. Un ancrage politique fort : quand la lutte au racisme et les relations avec les peuples autochtones sont rétrogradées au rang de préoccupations « associées », les bureaux chargés de ces enjeux se retrouvent au milieu du gué : en quelque sorte, sommés de transformer une machine dont les signaux politiques disent, en creux, que ce n’est plus tout à fait prioritaire.

« Dans un climat de paroles racistes décomplexées, reculer sur les enjeux antiracistes

envoie un très mauvais signal. »

L’administration Martinez Ferrada sous surveillance

Il devient dès lors difficile d’éviter une interpellation. Accueillie avec joie et enthousiasme par une large partie de la population, l’élection de Soraya Martinez Ferrada à la tête de la Ville de Montréal, le 2 novembre dernier, a été saluée, à juste titre, comme un jalon progressiste pour notre société. Oui : une NeoQuébécoise avait été choisie par les citoyennes et citoyens de Montréal comme mairesse. Une première. Un symbole. Un espoir.

Et c’est précisément au nom de cet espoir initial que nous estimons légitime – et même nécessaire – d’interpeller aujourd’hui l’administration Martinez Ferrada.

Madame la mairesse, Monsieur le président du comité exécutif, membres du comité exécutif :

– Reconnaissez-vous que la place d’un dossier dans l’organigramme – membre de plein droit ou conseiller associé – envoie un message politique clair aux citoyens et aux employés ?
Êtes-vous prêts à redonner à la lutte au racisme, à l’EDI et aux relations avec les peuples autochtones un rang explicite au sommet du pouvoir municipal, plutôt que de les laisser glisser vers des niveaux moins visibles ?
Vous engagez-vous à outiller réellement le BRDS – en données, en accès, en relais politiques – pour qu’il puisse jouer son rôle de manière crédible, y compris lorsque ses analyses dérangent la machine municipale ou les équilibres politiques du moment ?

Ces questions ne tombent pas du ciel. Elles prennent tout leur sens si l’on regarde le contexte dans lequel elles s’inscrivent : la montée de la droite radicale, banalisation de paroles et de gestes racistes dans l’espace public, discours haineux de plus en plus décomplexés.

Dans un tel climat, une ville comme Montréal et son administration devraient, plus que jamais, afficher au plus haut niveau une tolérance zéro face au racisme, et non donner l’impression que ces enjeux descendent d’un cran dans la hiérarchie politique. Dans ce contexte, il ne suffit plus de proclamer de grands principes : il faut regarder comment le pouvoir s’organise réellement.

Les villes, comme les gouvernements, savent très bien produire des mots : chartes, stratégies, reconnaissances, grands plans d’action. Mais les organigrammes et les chiffres, eux, ne mentent pas : ils disent qui décide vraiment ; ils montrent quels dossiers ont du poids ;
ils révèlent quels enjeux peuvent être contournés sans grandes conséquences.

Notre responsabilité – individuelle et collective – est de ne pas nous laisser endormir par les formules rassurantes. Nous regarderons la place réelle de la lutte au racisme, de l’EDI et des relations avec les peuples autochtones dans l’architecture du pouvoir montréalais. Nous scruterons les données – ou leur absence. Et nous reviendrons, encore et encore, sur cette question simple : Dans la « nouvelle » Montréal antiraciste, ces enjeux ont-ils été renforcés, consolidés… ou discrètement déclassés ?

Pour l’instant, les signaux institutionnels invitent à la vigilance. La suite dépendra des gestes politiques posés à partir d’aujourd’hui.

(c) Cyrille Ekwalla – Neoquébec (nov. 2025)

(*) https://montreal.ca/activites-de-consultation/racisme-et-discriminations-systemiques-reddition-de-comptes-2023-2024-84152

 

 

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