Le 3 juin dernier, l’Université du Québec à Montréal (UQAM) a décerné un doctorat honoris causa à l’océanographe, conteur, humoriste et vulgarisateur scientifique Boucar Diouf. Une distinction de plus pour celui qui, avec humilité, assume désormais trois titres honorifiques – après ceux de Laval et d’Ottawa – tout en continuant à s’interroger : » Est-ce que j’ai vieilli ou j’ai vraiment fait quelque chose d’important ? «
Dans une entrevue qu’il nous a accordé, le natif de Fatick, dans le nord du Sénégal, Boucar Diouf, revient sur le sens de cette reconnaissance, sur son parcours, et sur ce qui l’anime encore aujourd’hui : le respect du vivant, l’amour de la nature, l’éducation, et la responsabilité morale de transmettre.
La reconnaissance des pairs
Recevoir un doctorat honoris causa, dit-il, est une chose immense. « Ce sont tes pairs qui décident que ce que tu fais dans la science est assez important pour te le donner. ». Même s’il doute parfois du mérite, Boucar Diouf y voit une forme de validation du travail accompli, à la croisée de la science et de l’engagement citoyen. « C’est peut-être aussi le Boucar qui vulgarise, qui participe aux débats publics, qui fait des documentaires…«
L’émotion est palpable quand il évoque le regard des jeunes diplômés braqué sur lui lors de la cérémonie : « C’était beaucoup, beaucoup, beaucoup… » Une gratitude qu’il exprime à chaque mot, avec la modestie qui le caractérise.
Le modèle par l’action
À ceux qui l’élèvent au rang de modèle, Boucar Diouf répond avec une philosophie simple : » On est modèles par ce qu’on fait, pas par ce qu’on dit. » Il se dit touché d’avoir vu dans l’assistance de nombreux jeunes Africains, Sénégalais, Guinéens, Maliens, venus chercher leur diplôme. » Mon neveu était dans la salle et il recevait son diplôme en même temps. «
Sans jamais se poser en figure d’exception, l’océanographe-humoriste invite les jeunes à croire en leurs possibilités. Il leur rappelle que le chemin n’est pas facile, mais possible. Son message : discipline, travail, ouverture du cœur et de l’esprit. Et surtout, ne jamais trahir ses valeurs.
S’il a pris racine au Québec, Boucar Diouf ne renie rien de son passé. Au contraire, il le revendique comme moteur. Il parle avec tendresse des baobabs de son enfance, du chant des oiseaux, de ses parents cultivateurs. » La nature est en moi. J’ai grandi dans un monde où l’on remerciait la terre quand venait le temps de manger les premiers grains. «
Son travail de berger a laissé une empreinte durable, un sens aigu de la connexion au vivant. Cette conscience écologique est au cœur de sa démarche : » Nous, les humains, on est importants, mais le reste du vivant aussi. Si les abeilles disparaissent, on aura des problèmes. «
Pour lui, l’environnement et le vivre-ensemble ne sont pas dissociables. La diversité humaine et la biodiversité doivent cohabiter dans le respect. » Je regarde l’oiseau qui chante comme je regarde l’étranger qui arrive. Les deux ont leur place. «
L’éducation comme rempart
Fils de paysans analphabètes, Boucar Diouf insiste : c’est par l’éducation qu’il a pu tracer son chemin. Il rend hommage à Senghor, à son attachement à l’école, à l’égalité des chances d’hier – aujourd’hui en recul. » L’éducation, ce n’est pas juste une voie de sortie, c’est la base de la démocratie et de la liberté. «
Il s’inquiète de voir le système éducatif affaibli ailleurs dans le monde, notamment aux États-Unis. » Un dictateur n’aime ni l’éducation, ni la justice, ni la connaissance. » La vérité, dit-il, est en danger. Et les diplômés en sciences doivent porter cette lanterne fragile. » Vous êtes des chercheurs de vérité. «
Mais derrière cette émotion palpable se cache une reconnaissance bien méritée. Car ce n’est pas une première pour Boucar Diouf. L’UQAM s’ajoute à l’Université Laval et à l’Université d’Ottawa, qui lui ont également décerné cette prestigieuse distinction. Trois doctorats honorifiques en quelques années, un signe clair que son parcours atypique, sa rigueur scientifique et son engagement social touchent profondément.
Viellir, c’est revenir !
À la fin de l’entretien, à la question : quelle est la prochaine étape? Boucar Diouf répond sans détour : » Vieillir. Aller voir les baobabs pour les remercier. » Une boucle qui se referme. » Plus on vient, plus on revient « , disait sa mère.
Boucar Diouf, avec son regard tourné à la fois vers le passé et l’avenir, incarne une manière singulière d’être au monde : curieuse, enracinée, et profondément humaniste. Il est de ceux qui rappellent que la science, la culture et la nature ne sont pas des univers séparés, mais des récits qu’on peut tresser ensemble pour mieux comprendre et aimer ce qui nous entoure.
(c) CYEK – Institut Neoquébec (juin 2025)