Ce lundi 6 janvier 2025, Justin Trudeau a annoncé sa démission du poste de Chef du parti Libéral du Canada, et accessoirement de celui de premier ministre du Canada. Une démission effective dès le mois de mars prochain.
Attendue par beaucoup, au vu de l’actualité politique récente, redoutée par les uns, souhaitée par les autres, le chef du parti libéral a perdu la confiance de son caucus et même des canadiennes et canadiens, si l’on se fie aux derniers et nombreux sondages. L’heure du bilan a sonné. Un bilan multiforme. Celui qui nous intéresse est celui qui porte sur les impacts de l’ère Trudeau sur les populations noires et racisées.
Depuis son accession au pouvoir en 2015, Justin Trudeau s’est affirmé comme un chef de gouvernement plaçant l’équité, la diversité et l’inclusion au cœur de ses priorités politiques. Dans un contexte mondial marqué par des tensions raciales croissantes, son leadership a été jalonné par des initiatives destinées à soutenir l’émancipation des communautés noires et racisées. Cependant, ces efforts soulèvent des questions quant à leur impact réel et leur durabilité.
Engagements stratégiques et d’importants symboles
Justin Trudeau a adopté une approche proactive dans la lutte contre toutes les formes de haine et de discrimination, y compris le racisme anti-Noir et l’islamophobie.
Au début de l’année 2021 (29 janvier), il a été créé sous le leadership de Justin Trudeau, la Journée nationale de commémoration de l’attentat à la mosquée de Québec et d’action contre l’islamophobie. Quelques mois plus tard en juillet, au lendemain du Sommet national sur l’islamophobie, le Premier ministre a créé le poste de Représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie et y a nommé Amira Elghawaby.
En 2020, il a officialisé la reconnaissance de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine par les Nations Unies et a renforcé cette initiative par la déclaration du Mois de l’histoire des Noirs, mettant en lumière les contributions historiques des Canadiens noirs.
En outre, on ne peut ne pas évoquer son engagement lors de manifestations publiques, et citer par exemple son geste symbolique de s’agenouiller en soutien au mouvement Black Lives Matter en 2020. Bien que ce geste ait suscité des critiques, il reflète néanmoins une volonté de se solidariser avec les communautés marginalisées.
Autre avancée à mettre à l’actif du désormais ex. premier ministre du Canada, Justin Trudeau, la reconnaissance de la Journée mondiale de la culture africaine et afro-descendante (JMCA), chaque 24 janvier.
Proclamée en novembre 2019 par l’Unesco, la journée du 24 janvier, date de l’adoption de la Charte de la renaissance culturelle africaine et qui souligne la contribution des nombreuses cultures vivantes du continent africain et des diasporas africaines partout au monde, ainsi que leurs contributions au développement durable et au maintien du dialogue et de la paix.
Et comment ne pas mentionner les excuses officielles aux descendants du 2e Bataillon de construction, en juillet 2022, pour le traitement réservé à la seule unité entièrement composée de Noirs du Canada qui a servi pendant la Première Guerre mondiale.
Initiatives Politiques et Institutionnelles
Sous Justin Trudeau, des politiques structurelles ont été mises en place pour combattre le racisme systémique. La Stratégie canadienne de lutte contre le racisme, lancée en 2019 avec un budget initial de 45 millions de dollars, a établi ce qui est devenue de manière pérenne, le Secrétariat de lutte contre le racisme pour coordonner les efforts gouvernementaux en matière d’équité. Une nouvelle stratégie (2024-2028) poursuit ces efforts afin de répondre aux besoins émergents des communautés racisées.
Sur le plan individuel, des nominations diversifiées ont été promues au sein des institutions publiques, illustrées par exemple par des figures comme celles de Ahmed Hussen, Bardish Chagger, Pablo Rodriguez, Kamal Khera, Marci Ien, Soraya Martinez Ferrada, Mary Ng, Rechie Valdez, etc… au gouvernement. Ou encore, pour la première fois, un président de Chambre, issu des communautés noires, Greg Fergus.
Pour Justin Trudeau, c’était un impératif que la diversité canadienne soit reflétée au plus haut niveau de la gouvernance. Quoique des grincements de dents se sont fait – et continuent de se faire entendre – sur « ce impératif de Trudeau » pour signifier que « la photo est toute différente » quand vient le moment d’évoquer la haute administration fédérale.
Investissements spécifiques aux communautés noires
Au-delà des initiatives et investissements à l’échelle de tout le pays, des initiatives financières et économiques furent mises en place pour soutenir les communautés racisées, particulièrement les communautés noires.
Justin Trudeau a fait mettre en place le Fonds de dotation philanthropique pour les communautés noires canadiennes, doté d’un budget initial de 25 millions de dollars, afin de financer des organisations dirigées par des Noirs et répondre aux obstacles systémiques auxquels elles font face. Tout comme le Fonds de prêts pour l’entrepreneuriat des communautés noires, encore nommée PECN.
Qu’en a-t-il été au Québec ?
Au Québec, Trudeau a adopté une posture distincte face à des enjeux souvent controversés. Contrairement à François Legault, le premier ministre du Québec qui nie l’existence du racisme systémique, Trudeau a publiquement reconnu cette réalité et s’est positionné comme un allié des communautés racisées. Cette divergence s’est manifestée par son soutien aux Néo-Québécois face à des propos discriminatoires issus de certains responsables politiques provinciaux.
Trudeau a investi dans des initiatives ciblées, notamment le programme Initiative Appuyer Les Communautés Noires Du Canada, et a encouragé des consultations avec des leaders communautaires québécois pour répondre à des problématiques liées à l’emploi, au logement et aux services publics. Des collaborations avec les municipalités ont permis de développer des formations sur le racisme systémique, notamment dans les services de police, répondant aux revendications locales.
Sur le plan politique et sous son leadership affirmé, deux neoquébéecoises ont fait leur entrée au Sénat du Canada : Amina Gerba (district de Rigaud), nommée en juillet 2021 et Suze Youance (district de Lauzon), nommée en septembre dernier. Citons aussi Marjorie Michel, qui s’est retrouvée Directrice adjointe du cabinet de Justin Trudeau.
Sous Justin Trudeau, le nombre de députés libéraux neoquébécois.es a substantiellement augmenté. Au cours de la législature actuelle, outre celles et ceux qui ne sont pas ministres, on peut citer : Emmanuel Dubourg, Anju Dhillon, Sameer Zuberi, Emmanuelle Lambropoulos ou encore Faycal El-Khoury.
« Bien que des progrès notables aient été réalisés, le leadership de Justin Trudeau dans l’avancement des communautés noires et racisées, restera marqué par ces quelques manquements »
Il est indéniable que sous l’ère Trudeau, l’implication citoyenne et politique de plusieurs personnes noires et/ou racisées a crû, en raison d’un environnement bienveillant, inclusif et souvent attrayant. Les idées progressistes du député sortant de la circonscription de Papineau, sa personnalité attachante, sont autant de facteurs qui ont joué dans l’attrait qu’il exerçait.
Pour beaucoup, Justin Trudeau apparaissait comme un rempart – voire le seul rempart solide – face aux neo-conservateurs et autres forces extrémistes qui prennent place au Canada en ce moment.
Alors quel bilan ?
Doit-on pour autant parler d’un bilan positif pour Justin Trudeau en dix ans ?
Bien évidemment non ! Son bilan en matière de soutien aux communautés noires et racisées est globalement positif, mais nuancé. Ses gestes symboliques, comme la reconnaissance du racisme systémique et ses initiatives financières, sont salués comme des avancées significatives. Cependant, les critiques pointent un manque de réformes profondes, notamment dans les domaines de la discrimination au sein de la fonction publique fédérale, de la justice pénale et de la lutte contre le profilage racial.
Sur le plan politique, ses récentes volte-face sur l’immigration – en raison de la pression de certains premiers ministres provinciaux, qui pour des raisons électoralistes – font des immigrants des bouc-émissaires, en les rendant responsables de la crise du logement, sont aussi des élements négatifs du bilan de Justin Trudeau, vis-à-vis des populations noires et racisées.
Bien que des progrès notables aient été réalisés, le leadership de Justin Trudeau dans l’avancement des communautés noires et racisées, restera marqué par ces quelques manquements. Des actions plus audacieuses et un engagement soutenu auraient été nécessaires pour répondre pleinement aux attentes des communautés concernées et combler les lacunes systémiques persistantes.
(c) Cyrille Ekwalla – Institut Neoquébec / Janv. 2025