L’EXCEPTIONNALITÉ DE DOMINIQUE ANGLADE

Si cet essai était un épisode d’une série Netflix, on pourrait lire l’avertissement suivant, juste avant le générique d’ouverture : Dominique Anglade est mon amie et je siège depuis des années sur le conseil d’administration de KANPE, la fondation que Dominique a mise sur pied avec Régine Chassagne.

Depuis le déclenchement de cette campagne, je me suis abstenue, sur les diverses tribunes médias auxquelles j’ai été invitée, à commenter sur la cheffe du PLQ. Pourtant, c’est une partie de mon métier : décortiquer l’image de personnes d’influence, analyser leurs messages et évaluer l’impact de ces derniers.

Plan-séquence, début de l’épisode

Nous en sommes à la troisième semaine de la nouvelle saison de la NFL (Ligue nationale de football). Pour plusieurs raisons, j’ai tourné le dos à cette ligue, il y a quelques années, mais son arrière-scène m’intéresse toujours. Je suis particulièrement enchantée par ce qui se passe chez les Broncos de Denver. En juillet dernier, l’équipe a été rachetée par un groupe de propriétaires avec à sa tête des héritiers de la famille à qui on doit les magasins Walmart.

Mais ce sont surtout trois des autres membres du groupe qui surprennent agréablement et qui marquent un possible tournant dans cette ligue. Il s’agit du coureur automobile Lewis Hamilton, de la financière Mellody Hobson et de Condoleezza Rice, ancienne conseillère à la Sécurité nationale sous le président George W. Bush, puis secrétaire d’État dans sa deuxième administration. Madame Rice a été, respectivement, la première femme et la première femme noire à occuper ces postes. Ce ne sont pas le genre de qualificatifs que j’aime particulièrement souligner, mais dans certains cas, l’exception dont ils témoignent n’est pas celle des nominations, mais plutôt celle des personnes nommées.

En apprenant la composition du nouveau groupe propriétaire des Broncos, je me suis rappelé la grande histoire d’amour entre Condoleeza Rice et le football. J’en avais appris les détails en lisant une biographie de madame Rice parue en 2007 et signée par le journaliste Marcus Mabry. C’est un livre qui trace un portrait à l’occasion critique de Rice (et souvent avec raison), mais qui rappelle aussi les très grandes forces de cette polyglotte, son parcours remarquable et ses exploits – comme celui d’avoir été la plus jeune nommée prévôt de la prestigieuse et convoitée Université Stanford.

En relisant des passages de la biographie, je me suis aussi rappelé le traitement médiatique qu’avait reçu Condoleeza Rice, tout au long de ses deux mandats à la Maison-Blanche. Elle n’a pas été épargnée par les journalistes politiques, qui, faisant leur travail, soulignaient ses bons coups autant que ceux qui avaient moins bien réussi. Comment alors expliquer que Condoleezza Rice avait un taux d’approbation si élevé, au sein d’une administration si critiquée et si critiquable ?

Entre autres, c’est parce que les autres médias – ceux qui n’avaient pas la politique comme sujet de prédilection – l’ont souvent célébrée, reconnaissant que la présence de Condoleeza Rice à la Maison-Blanche était une réussite américaine et que, malgré les nombreuses failles sociales du pays, eh bien yes they can. Je pense aux influents magazines Vanity Fair et Vogue, par exemple, qui avaient consacré de nombreuses pages à madame Rice. Ce n’est pas anodin, puisque ce sont des magazines plutôt libéraux et Rice, elle, est conservatrice. Mais ce sont d’abord des magazines féministes et ce qu’ils soulignaient était une femme qui brillait au milieu de tous ses cowboys.

Une absence sur les frontispices des magazines féminins québécois

Tout ça n’est pas sans rappeler les célébrations et nombreux papiers consacrés à Hillary Clinton, lors de sa nomination à la tête du Parti démocrate, et ceux sur Kamala Harris, louangeant son ascension au poste de vice-présidente des États-Unis, et ce, bien au-delà des États-Unis, y compris au Québec et ailleurs au Canada. C’est un traitement qui n’a jamais vraiment été réservé à Dominique Anglade dans le pays où elle est née ni dans sa province – celle où elle continue de laisser sa marque.

Depuis son arrivée à la tête du PLQ et depuis le début de cette campagne électorale, où sont les grands textes d’opinion signés par des féministes notoires du Québec, applaudissant le symbolisme historique de la présence de Dominique Anglade dans cette élection ?

Où est Anglade sur les frontispices des magazines québécois et canadiens (surtout ceux dédiés à un lectorat féminin) ? Cette première-ceci et première-cela d’ici, cette ancienne vice-première ministre du Québec et ancienne ministre de l’Économie, cette ancienne PDG de Montréal International, cette cheffe de parti contre qui personne ne s’est présenté lors de l’investiture, ne mérite-t-elle pas d’être célébrée, comme d’autres pionnières l’ont été ? À la place et au lieu de dire que c’était une bosseuse, on a préféré dire, sur les ondes d’une radio de Montréal en mai 2020, qu’elle avait été élevée dans la soie.

Malgré les nombreux papiers consacrés à Hillary Clinton lors de la campagne présidentielle de 2016 aux États-Unis, les chiffres montrent que Donald Trump a reçu une couverture médiatique plus importante que Clinton, sauf lorsqu’a éclaté le faux scandale de ses courriels.

Après coup, ce qui était clair – et qui l’est encore aujourd’hui – est qu’on est si peu habitués à des femmes en position de pouvoir en politique, qu’on ne les couvre pas équitablement et elles le savent. Elles savent que la loupe est différente pour elles, que les dérapages, maladresses et erreurs seront jugés plus sévèrement. Conséquemment, elles n’y ont pas droit.

Un traitement médiatique particulier ?

Évidemment, nous n’avons pas à être d’accord avec tous les aspects du programme du Parti libéral du Québec et avons le droit de le critiquer. Mais on peut le faire tout en reconnaissant l’exceptionnalité de Dominique Anglade et en notant aussi que cette exceptionnalité la prive d’un certain luxe.

Aurait-elle pu se permettre des dires si peu premier-ministrables comme ceux suggérant l’abolition de la Fédération des femmes du Québec et du Conseil du statut de la femme ? Ou ceux affirmant que la communauté noire n’a pas beaucoup de héros ? Madame Anglade aurait-elle pu, en pleine campagne, se permettre un raccourci qui associe les immigrants à la violence ? Ne manquant pas d’élégance, je ne crois pas non plus que Dominique Anglade aurait balancé le « mot en N », en vivo, en plein débat des chefs pour prouver je-ne-sais-trop-quoi. Et elle ne l’aurait certainement pas fait en présence d’une personne noire, ignorant de surcroît que c’est un mot qui peut blesser, point barre.

Avec un contexte dans lequel la violence faite aux femmes en politique rend le métier encore plus difficile et dans lequel l’immigration est attaquée, la présence de Dominique Anglade est d’autant plus remarquable.

La biographie de Condoleezza Rice par Marcus Ambry s’intitule Twice As Good. Dominique Anglade est exactement ça. Elle n’aurait pas pu se rendre où elle est sans l’avoir été, cristallisant ce que le Québec fait de mieux. J’aurais aimé qu’on en soit plus fiers.

(c) Martine St-Victor (Stratège en communication et directrice générale d’Edelman – Montréal) – La Presse+

ps : le titre et les sous-titre sont de Institut Neoquébec /Titre original : En relisant la biographie de Condoleeza Rice

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