OPINION : Les femmes  » invisibles  » doivent avoir accès aux soins de santé au Québec

Chaque année au Québec, des centaines de femmes dont le statut d’immigration est précaire n’ont pas accès aux services de santé reproductive et sexuelle. Cette situation est due à la façon dont la loi actuelle est interprétée.

Dans certains cas, ces femmes attendent l’obtention de leurs papiers d’immigration, par exemple si leur famille les parraine. Elles peuvent aussi être titulaires d’un visa d’étudiant ou d’un permis de travail, ou encore être mariées à des hommes qui ont eux-mêmes un statut temporaire. (Il convient de noter que cette discussion n’inclut pas la situation des demandeurs d’asile dont les soins de santé sont couverts par un régime fédéral distinct).

Dans la plupart des cas, l’assurance maladie privée ne couvre pas non plus les frais médicaux liés à la grossesse, ce qui entraîne une charge économique importante pour les familles qui peuvent le moins se le permettre.

Il existe peu de statistiques fiables sur les femmes ayant un statut d’immigration précaire ; elles sont pour la plupart « invisibles » pour le système. En mars 2022, l’organisation Médecins du monde (Canada) a soumis au gouvernement du Québec un mémoire sur les patientes qu’elle reçoit dans sa clinique gratuite. Les deux tiers des 288 femmes qui ont fréquenté la clinique en 2021 attendaient que leur statut d’immigré soit reconnu. Quarante-cinq pour cent (45%) vivaient ici depuis trois ans ou plus. La plupart sont pauvres.

 

Les conséquences de l’insuffisance des services de santé donnent à réfléchir. L’absence de soins prénataux expose les femmes à des risques accrus de maladies non traitées et dangereuses comme les grossesses extra-utérines, la pré-éclampsie et la dépression post-partum. Ces femmes sont plus susceptibles d’avoir des nouveau-nés en sous-poids et malades. Les femmes atteintes d’un cancer du col de l’utérus ou de maladies sexuellement transmissibles ne peuvent pas non plus recevoir les soins dont elles ont besoin. La note de Médecins du Monde souligne que de nombreuses femmes ont peur de contacter les autorités.

 

La continuité des services publics en matière de santé sexuelle et reproductive est un besoin avéré. En fait, plusieurs pays de l’OCDE garantissent l’accès aux services de santé financés par les pouvoirs publics à toute personne se trouvant sur leur territoire. Le raisonnement est à la fois empathique et économique : selon une étude californienne citée dans le dossier, pour chaque dollar dépensé en soins prénatals, trois dollars sont économisés en soins néonatals.

Ces femmes sont également vulnérables à la violence du partenaire intime et, de fait, elles sont souvent les plus vulnérables parmi les vulnérables. Le stress supplémentaire de la maladie et de la grossesse augmente la probabilité de violence au sein du foyer. À plusieurs niveaux, ces résultats ont un impact rayonnant sur les services sociaux et de santé du Québec et sur la société en général.

 

Au Bouclier d’Athena Family Services, un organisme de bienfaisance montréalais qui se spécialise dans l’intervention auprès des femmes victimes de violence conjugale, les femmes au statut d’immigration précaire sont nettement surreprésentées. En 2020-2021, ces femmes représentaient 27 % des clients cherchant des services liés à la violence conjugale. En réfléchissant à ce chiffre, il faut garder à l’esprit que seulement environ 0,3 % des femmes au Québec n’ont pas d’assurance maladie publique.

 

Très souvent, ces femmes sont également confrontées à d’importantes barrières linguistiques et n’ont pas de réseau social ou de soutien communautaire. Les travailleurs sociaux les amènent dans des cliniques privées, des hôpitaux, chez des dentistes et des obstétriciens. Parfois, leur seule option est une clinique comme celle de Médecins du monde, qui accueille les femmes sans couverture d’assurance maladie publique. Dans les cas extrêmes, les médicaments et les coûts doivent être pris en charge par les cliniques, les refuges et les médecins bénévoles.

 

Ce n’est pas une issue acceptable dans une société démocratique et solidaire.

 

Un comité interministériel québécois doit rendre son rapport en juin sur ces questions et il existe une opportunité politique maintenant de changer l’application de la loi afin qu’elle garantisse que des soins de santé soient fournis à ces femmes. C’est pourquoi nous demandons au gouvernement du Québec d’agir maintenant et de protéger la santé des femmes dont le statut d’immigration est précaire, et de le faire avant les élections d’octobre. C’est ainsi que nous construisons des sociétés encore meilleures et plus saines.

Auteures : Pearl Eliadis ( avocate spécialisée dans les droits de l’homme et bénévole à Médecins du monde- Canada) et Melpa Kamateros (cofondatrice et directrice exécutive du Bouclier d’Athéna Family Services)

(c) : Neoquébec – Mai 2022 (source : The Gazette)

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