C’est un nouveau symbole progressiste du XXe siècle aux Etats-Unis que la Cour suprême fait tomber. Un an après avoir supprimé le droit fédéral à l’avortement, la plus haute juridiction américaine, à majorité conservatrice, a banni, dans une décision rendue publique jeudi 29 juin, l’affirmative action, c’est-à-dire la discrimination positive en faveur des minorités à l’entrée des universités, instituée par le président Kennedy en 1961.
Les six magistrats conservateurs ont jugé, contre l’avis des trois progressistes, contraire à la Constitution les procédures d’admission sur les campus prenant en compte la couleur de la peau ou l’origine ethnique des candidats.
Beaucoup d’universités « ont considéré, à tort, que le fondement de l’identité d’une personne n’était pas sa mise à l’épreuve, les compétences acquises ou les leçons apprises, mais la couleur de sa peau. Notre histoire constitutionnelle ne tolère pas ça », a écrit le magistrat John Roberts au nom de la majorité. « En d’autres mots, l’étudiant doit être traité en fonction de ses expériences individuelles, mais pas sur des critères raciaux », ajoute-t-il.
Plusieurs universités très sélectives avaient introduit des critères raciaux et ethniques dans leur procédure d’admission à la fin des années 1960 pour corriger les inégalités issues du passé ségrégationniste des Etats-Unis et augmenter la part des étudiants noirs, hispaniques, asiatiques ou amérindiens dans leurs effectifs. Ces politiques, dites de « discrimination positive », ont toujours été très critiquées dans les milieux conservateurs qui les jugent opaques et y voient du « racisme inversé ».
Saisie à plusieurs reprises depuis 1978, la Cour suprême avait interdit les quotas, mais avait toujours autorisé les universités à prendre en compte, parmi d’autres, les critères raciaux. Jusqu’ici, elle jugeait « légitime « la recherche d’une plus grande diversité sur les campus, quitte à faire une entorse au principe d’égalité entre tous les citoyens américains. Ce 29 juin 2023, elle a fait demi-tour, comme elle l’avait fait le 24 juin 2022 en annulant le droit fédéral à l’avortement qu’elle garantissait depuis 1973.
Sa volte-face a suscité un concert d’applaudissements à droite. « C’est un grand jour pour l’Amérique « , « on revient à un système au mérite », a écrit sur Truth Social l’ex-président républicain Donald Trump, artisan de ce revirement puisqu’il a profondément remanié la Cour pendant son mandat.
A l’inverse, le chef démocrate du Sénat, Chuck Schumer, a dénoncé une « décision mal avisée » qui « met un obstacle gigantesque sur la route vers plus de justice raciale ».
» Six membres non élus de la majorité ont renversé le statu quo sur la base de leur préférence politique et ont préféré mettre un vernis incolore sur une société où la question raciale a de l’importance et continuera d’en avoir. » (Sonia Sotomayor – juge libérale à la Cour Suprême des USA)
Plus mesuré, Barack Obama, premier président noir des Etats-Unis, a souligné que la discrimination positive n’avait jamais été une réponse complète au besoin de construire une société plus juste ». Mais elle « nous a donné une chance de montrer que nous méritions plus qu’une place à table », a-t-il ajouté sur Twitter.
Les critiques les plus vives se sont élevées au sein même de la Cour, dont les trois juges progressistes ont couché par écrit leur profond désaccord avec leurs confrères. « Six membres non élus de la majorité ont renversé le statu quo sur la base de leur préférence politique », a écrit en leur nom Sonia Sotomayor. Ils ont préféré « mettre un vernis incolore sur une société où la question raciale a de l’importance et continuera d’en avoir ».
Certes, la majorité autorise les universités à prendre en compte « les expériences personnelles » des candidats et l’impact de leur couleur de peau sur leur parcours, mais ça revient à mettre « du rouge à lèvres sur un cochon », a-t-elle asséné.
La moitié des Américains désapprouvent la discrimination positive sur le critère ethnique contre un tiers qui l’approuvent. (Pew Reseach Center)
Cet arrêt trouve sa source dans une plainte déposée en 2014 contre les plus vieilles universités privée et publique des Etats-Unis, Harvard et celle de Caroline du Nord. À la tête d’une association baptisée « Students for fair admission », un militant néoconservateur, Edward Blum, les avait accusées de discriminer les étudiants asiatiques. Ces derniers, qui ont des résultats académiques nettement supérieurs à la moyenne, seraient plus nombreux sur les campus si leurs performances étaient le seul critère de sélection, avait-il plaidé. Après avoir essuyé plusieurs défaites devant les tribunaux, il s’était tourné vers la Cour suprême qui, ironie du sort, n’a jamais été aussi diverse qu’aujourd’hui avec deux magistrats afro-américains et une hispanique.
Mais la haute juridiction a été profondément remaniée par Donald Trump et compte désormais six magistrats conservateurs sur neuf, dont le juge Afro-Américain Clarence Thomas, un pourfendeur des programmes de discrimination positive dont il a pourtant bénéficié pour étudier à la prestigieuse université Yale.
Le gouvernement du président démocrate Joe Biden avait plaidé en vain pour le statu quo. « L’avenir de notre pays dépend de sa capacité à avoir des leaders aux profils variés, capables de diriger une société de plus en plus diverse », avait soutenu sa représentante.
Dans la même veine, de grandes entreprises, dont Apple, General Motors, Accenture ou Starbucks avaient souligné qu’avoir « une main-d’œuvre diversifiée améliorait leurs performances » et qu’elles « dépendaient des écoles du pays pour former leurs futurs employés ».
Selon une enquête du Pew Research Center réalisée en avril, la moitié des Américains désapprouvent la discrimination positive sur le critère ethnique contre un tiers qui l’approuvent. Les Noirs y demeurent favorables à 47 % et la désapprouvent à 29 %. Les Hispaniques sont partagés (39 % pour, 39 % contre), les Blancs opposés (57 % contre, 29 % pour) et les démocrates ne sont plus si enthousiastes (54 % pour, 29 % contre). En 2020, la Californie avait organisé un référendum pour rétablir l’affirmative action, bannie depuis 1996 dans cet Etat. Mais la proposition avait été rejetée à 57%.
source : Le Monde.fr /(re-édition : Institut Neoquébec – Juin 2023)