Il y a un peu moins de deux mois, le 26 avril 2025, se déroulait la neuvième édition du Gala Dynastie, dans le splendide théâtre Maisonneuve. Un tapis, un spectacle, et surtout une cérémonie accueillant artistes, leaders et créateurs, femmes et hommes de médias, honorés de manière festive, mais aussi profondément politique.
Pour la communauté afrodescendante de Montréal et du Québec, c’était un rendez-vous pour célébrer l’excellence noire. En effet, des personnalités issues de domaines tels que la culture, les médias ou les arts y ont été récompensées.
Une question me vient à l’esprit : au-delà des prix, des rires et des cris d’acclamation, que nous évoque ce besoin fondamental d’être reconnu par les siens ?
Demandons-nous pourquoi de telles cérémonies résonnent de manière si particulière au sein des communautés noires, héritières d’une histoire marquée au fer par l’acharnement, l’interdiction de se célébrer et l’acculturation.
À bien y regarder, le Gala Dynastie ne se réduit pas à une simple remise de prix. En réalité, c’est une forme moderne de rituel, offrant un espace de reconnaissance à valeur symbolique auprès de
la collectivité ; un instant d’assurance identitaire.
Pour mieux appréhender ce propos, revenons à la théorie de l’anthropologue Victor Turner, appelée « processus rituel », soit un passage par lequel les communautés redéfinissent leurs liens, leurs essences et leurs valeurs. Le Gala Dynastie en est un exemple contemporain.
Allons donc avec une seconde interrogation : quelle est la fonction de ce type de cérémonies dans la vie des communautés noires aujourd’hui, entre mémoire, résilience et futur ?
Décrivons le Gala : il s’est ouvert avec la réception des invités sur le black carpet. Peu à peu, l’affluence augmente, l’ambiance s’élève et les invités défilent pendant que les photographes cherchent à capturer la meilleure lumière, et les journalistes quelques mots avant que la cérémonie ne commence.

Au milieu de tout ça, il y a un spectacle dans le spectacle. En effet, l’exercice le plus fascinant reste d’admirer les détails des tenues. Précisément là où la communauté noire ne déçoit jamais car ce ne sont pas seulement des vêtements, mais une histoire qui est racontée. C’est un style complet, de la coiffure au maquillage, en passant par les accessoires, tout s’accorde pour nous délivrer un message. Un bal de couleurs, et d’assortiment de matières et de textures. Tout est choisi avec soin, et souvent faisant des clins d’œil à des tenues traditionnelles, réinterprétées avec modernité.
Anthony Kavanagh : appartenance et reconnaissance

Gala Dynastie , cérémonie de remise detrophés et reconnaissances ? Bien sûr. Et cette année, le symbole en fut Anthony Kavanagh, humoriste, comédien et chanteur, a particulièrement marqué le public. Non seulement pour sa notoriété, mais surtout pour son avant-gardisme qui fait de lui une figure phare de la scène noire montréalaise. Un visage familier pour certains, un modèle pour tant d’autres.
Avec une carrière de trois décennies, jalonnée de prix, de voyages et d’expériences, il a reçu avec émotion le « Grand Prix Dynastie » chez lui, entouré des siens. Lors de son discours, il a évoqué le fait que, plus jeune, il ne se reconnaissait pas à l’écran, alors qu’à présent, dans la salle, il voyait les visages de ses semblables. Le succès à l’étranger est un symbole d’acceptation, peut-être de réussite mais celle de ses pairs, de ceux qui nous ont vu grandir, est un symbole d’appartenance et surtout de reconnaissance.
Victor Turner : un rite de passage collectif ? Une Communité éphémère
Selon l’anthropologue britannique Victor Turner, s’inspirant des travaux d’Arnold Van Gennep sur les rites de passage, tout rituel de transition comporte trois phases : la séparation (on quitte un état ou un statut antérieur), la liminalité (étape floue, instable, souvent marquée par la remise en question des rôles sociaux), puis la réintégration (retour dans la société avec un nouveau statut).
L’analogie avec le Gala Dynastie, prend forme ainsi : tout d’abord, la séparation, ce sont les efforts faits pour s’apprêter, sortir du quotidien. Secondairement, la liminalité, est la cérémonie elle-même, où les distinctions sociales s’effacent momentanément au profit d’une mémoire collective partagée. Les lauréats y vivent une transformation symbolique. Enfin, la réintégration, c’est le retour dans le monde social, enrichi d’une nouvelle reconnaissance.
Histoire : esclavage, interdiction des rites, effacement culturel
L’histoire des populations noires aura été impacté par la traite transatlantique. Un tournant décisif qui a entraîné l’arrachement de millions d’Africains à leurs terres, langues, religions et cultures. Dans les Amériques, les systèmes esclavagistes étaient souvent accompagnés de l’interdiction des rites africains et d’un effacement culturel systématique, destiné à déshumaniser et briser tout sentiment d’appartenance.
Ce processus d’acculturation forcée a entraîné une fragmentation des identités et une perte des repères ancestraux. Pourtant, cette oppression a également suscité des formes de résistance, discrètes mais tenaces. C’est ainsi qu’est née la créolisation, un concept développé par Édouard Glissant qui désigne l’invention culturelle issue du métissage des cultures. De ce dialogue culturel, en résulte une culture neuve, qui prend ses sources dans le contexte local mais s’inspire d’une mémoire diasporique. Les styles musicaux comme le jazz, le reggae, le kompa, le hip-hop ou les langues créoles traduisent ce phénomène.
Un besoin de se célébrer comme réparation symbolique
Le Gala Dynastie fie la dynamique de réparation symbolique. Il contrarie les logiques coloniales d’interdiction et d’invisibilisation, en plaçant la culture noire au centre, célébrée et valorisée. Les silhouettes, récits et esthétiques mises en scène rappellent une mémoire de dépossession, mais aussi de puissance créative ininterrompue.
La résilience des personnes dépossédées a permis la transmission d’un héritage aux générations futures. Par nécessité de survie, il a fallu se réinventer et réinvestir les espaces culturels pour faire émerger une mémoire commune redéfinie. La fierté noire naît de ces échanges.
De nos jours, des cérémonies comme le Gala Dynastie apparaissent donc comme des rites contemporains, expressions actuelles de la créolisation.
(c) Tina Mostel – Institut Neoquébec (juin 2025)
admin
test