Dans une déclaration conjointe, trois ministres canadiens – Mélanie Joly (Affaires étrangères), Ahmed Hussen (Développement international) et Mary Ng (Commerce international) – ont fermement condamné ce lundi 3 mars 2025, l’offensive du groupe armé Mouvement du 23 mars (M23) dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), ainsi que le rôle du Rwanda dans cette crise. Le Canada a annoncé des mesures diplomatiques et économiques contre Kigali, tout en débloquant 15 millions de dollars d’aide humanitaire pour les populations affectées.

Les ministres canadiens Ahmed Hussen (Développement international), Mélanie Joly (Affaires étrangères), et Mary Ng (Commerce international)

RDC,  un conflit régional aux racines profondes

La région de l’est de la RDC, riche en minerais stratégiques, est le théâtre de violences chroniques depuis près de trois décennies. Le M23, un groupe rebelle principalement composé de combattants tutsis, a émergé en 2012, accusant le gouvernement congolais de marginaliser leur communauté. Bien que vaincu en 2013, le mouvement a repris les armes fin 2021, s’emparant de vastes territoires, dont les villes clés de Goma et Bukavu. Les Nations unies et plusieurs pays, dont les États-Unis et la France, ont à plusieurs reprises accusé le Rwanda de soutenir militairement le M23 – des allégations que Kigali ne cesse de démentir.

Une condamnation sans équivoque

Dans leur déclaration, les ministres canadiens ont pointé du doigt « la présence des Forces rwandaises de défense en RDC et leur soutien au M23 », qualifiant ces actes de « violations flagrantes de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de la RDC ». Le Canada exige un « dialogue constructif » et rappelle l’urgence de « solutions pacifiques pour prévenir une nouvelle déstabilisation ». Ces propos interviennent alors que plus de 7 millions de personnes sont déplacées en RDC, dont 2,5 millions dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, épicentres du conflit.

Paul Kagame – Président du Rwanda

Sanctions et pressions diplomatiques

En réponse, Ottawa a annoncé trois mesures contre le Rwanda :

-1. La suspension des licences d’exportation de « marchandises et technologies contrôlées » – une catégorie incluant potentiellement des armes ou équipements à double usage.

– 2. L’arrêt des nouvelles activités commerciales intergouvernementales et du soutien aux missions commerciales privées.

– 3. La révision de la participation canadienne aux événements internationaux organisés au Rwanda.

Prosper Higiro - Haut-commissaire du Rwanda au CanadaLe haut-commissaire rwandais au Canada, Prosper Higiro, a été convoqué pour être informé de ces décisions. « Si le Rwanda continue de violer le droit humanitaire international, le Canada envisagera des mesures supplémentaires, y compris des sanctions », prévient le gouvernement. Ces sanctions s’inscrivent dans un contexte international plus large : en 2023, les États-Unis ont également exhorté le Rwanda à cesser son soutien au M23.

Crises humanitaires et violences sexuelles : l’urgence oubliée

Les ministres ont dénoncé des « atrocités généralisées », citant des attaques contre des civils, des humanitaires et des soldats de la paix de l’ONU. « Nous sommes particulièrement préoccupés par les rapports faisant état de violences sexuelles à l’égard des femmes et des filles », ont-ils déclaré, rappelant que ces actes violent le droit international. Selon l’ONU, plus de 200 000 cas de violences sexuelles liées aux conflits ont été recensés en RDC depuis 1990. Le Canada réaffirme son soutien à la Cour pénale internationale (CPI), qui enquête sur les crimes commis dans la région depuis 2004.

15 millions de dollars et l’espoir d’une solution régionale

Face à une crise humanitaire « critique » – 25 millions de Congolais ont besoin d’aide selon l’ONU –, le Canada annonce une enveloppe de 15 millions de dollars pour financer l’accès à l’eau, à la nourriture et aux soins. Parallèlement, Ottawa salue les efforts de médiation régionaux, notamment ceux de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et de la Communauté de l’Afrique orientale (EAC). « Nous exhortons toutes les parties à honorer leurs engagements dans le cadre des processus de paix de Luanda et de Nairobi », ont insisté les ministres, en référence aux accords de 2022 visant à désamorcer les tensions entre la RDC et le Rwanda.

Une paix fragile, des enjeux internationaux

Cette prise de position du Canada s’inscrit dans un paysage géopolitique complexe. Alors que la MONUSCO (mission de l’ONU en RDC) doit quitter le pays d’ici fin 2024, les pays africains tentent de prendre le relais. La SADC a déployé en décembre 2023 une force régionale, mais son efficacité reste à prouver. Par ailleurs, la question du Rwanda, allié historique de l’Occident dans la région des Grands Lacs, divise : si le Canada durcit le ton, d’autres partenaires, comme le Royaume-Uni, maintiennent une approche plus mesurée.

Conclusion : un appel à l’action multilatérale

En ciblant le Rwanda, le Canada espère infléchir une dynamique de conflit qui menace de déstabiliser toute l’Afrique centrale. Toutefois, sans pression concertée de la communauté internationale, l’impact des sanctions risque d’être limité. Comme le résume la déclaration canadienne : « La paix ne sera possible que par une volonté politique inclusive et un règlement des causes profondes du conflit » – des causes qui incluent la compétition pour les ressources, les fractures ethniques et les traumatismes post-coloniaux.

Alors que les combats se poursuivent, les civils congolais paient le prix fort. L’aide canadienne, bien que nécessaire, ne suffira pas sans un cessez-le-feu immédiat et un dialogue crédible.

(c) Cyrille Ekwalla – 3 mars 2025

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