LA DIASPORA RWANDAISE DU CANADA ET LA KWIBUKA : 31ÈME ÉDITION

À la veille de la 31ème commémoration du génocide des Tutsi du Rwanda, de part et d’autre du Canada, la communauté rwandaise du Canada se mobilise pour honorer la mémoire des victimes et transmettre l’histoire aux jeunes générations.

Son Excellence M. Prosper HIGIRO
Haut-commissariat de la République du Rwanda au Canada

C’est le cas notamment de Sandra Gasana, porte-parole de l’association PAGE Rwanda, et Tony Nkurunziza, président du Réseau des professionnels rwandais du Canada, ont accordé une entrevue à l’émission NeoQuébec (CIBL) pour évoquer les enjeux de ce devoir de mémoire. Trente et un ans après les faits, leur message reste clair : commémorer n’est pas seulement se souvenir, c’est aussi éduquer, prévenir le négationnisme et soutenir les survivants dans leur reconstruction.

Chaque année, autour du 7 avril – date marquant le début du génocide de 1994 – PAGE Rwanda organise une série d’événements commémoratifs à Montréal. Cérémonie d’ouverture, projections de documentaires, expositions, veillées aux bougies : tout est mis en œuvre pour que le souvenir des plus de 800 000 victimes ne s’estompe jamais. « Malgré la douleur, organiser ces événements est une manière de s’assurer que personne n’oublie et d’honorer ceux qui ont perdu la vie« , souligne Sandra Gasana​ au micro du journaliste/animateur Cyrille Ekwalla

Porte-parole de Page Rwanda, elle y voit une contribution précieuse de la diaspora rwandaise à la société d’accueil : partager son histoire pour éviter que de telles tragédies ne se reproduisent.

Sandra Gasana / Porte-parole de Page Rwanda

Parmi les temps forts, la cérémonie d’ouverture du 7 avril réunit survivants, descendants et sympathisants. Des bougies y sont allumées et une minute de silence rend hommage aux disparus. Mais aussi la projection du film documentaire « Beyond the Genocide «  de Zon Sulaiman Mukasa Matovu aura lieu le samedi 12 avril à l’Université Concordia pour sensibiliser le grand public à la fois à l’horreur des faits et à la résilience des rescapés.  La soirée de clôture se tient le 26 avril, avec un moment fort : le jet de fleurs dans le Saint-Laurent au abords du Quai de l’Horloge, symbolisant les personnes jetées dans les rivières par les tortionaires durant le génocide.
 » Chaque événement a son importance : ils offrent des occasions différentes de se souvenir, d’apprendre et de partager « , note la porte-parole de Page Rwanda. Elle rappelle que ces commémorations s’étendent sur plusieurs semaines en avril,  » pour que le devoir de mémoire imprègne durablement les esprits, au-delà d’une seule date anniversaire ».

Transmission de la mémoire aux jeunes générations

Un enjeu central du devoir de mémoire est la transmission de l’histoire aux plus jeunes, en particulier aux enfants de survivants et aux jeunes Rwandais nés à l’étranger. Beaucoup de survivants témoignent de la difficulté à raconter l’indicible à leurs enfants sans raviver la douleur. « Je ne sais pas encore comment m’y prendre… c’est difficile de tout dire aux enfants sans la colère » confie ainsi Marie-Angéline, une rescapée rwandaise rescapée,  au journal Globe and Mail.

Ce défi de la transmission intergénérationnelle, Sandra Gasana et Tony Nkurunziza le connaissent bien.

Lors de l’entrevue, ils ont insisté sur l’importance d’un dialogue ouvert entre les témoins directs du génocide et la nouvelle génération. Page Rwanda intègre de plus en plus les jeunes dans l’organisation des commémorations. Tout comme le réseau des professionnels. « Cette année, la jeunesse a vraiment pris les devants. Les enfants des rescapés et les jeunes Rwandais du Canada s’investissent avec nous – c’est essentiel pour pérenniser la mémoire  » explique Tony Nkurunziza.

Des ateliers éducatifs et des espaces de discussion leur sont dédiés, afin que les plus jeunes puissent poser leurs questions et s’approprier cette histoire tragique avec leurs mots. Pour Sandra Gasana, inclure les jeunes, c’est assurer la relève du “Kwibuka” – le souvenir – et éviter que le génocide ne devienne un simple chapitre oublié des livres d’histoire.

« Utagira umutima wibuka, azahembera ubwicanyi (Celui qui n’a pas de mémoire pour se souvenir nourrit la violence)

Préserver la mémoire, c’est aussi la défendre contre le négationnisme. Trente-et-un ans plus tard, des discours minimisant ou niant le génocide des Tutsi continuent de circuler, ce qui inquiète les gardiens de la mémoire.  » Nous devons constamment rappeler la vérité des faits, car l’oubli et la déformation de l’histoire guettent « , insiste Sandra Gasana.

Lutter contre la négationnisme et soutenir les survivants

Pour contrer la désinformation, l’association mise sur la sensibilisation du public et la diffusion de témoignages de première main. La présence de rescapés qui partagent leur vécu pendant les cérémonies est à cet égard la réponse la plus forte aux tentatives de révisionnisme. La lutte contre l’oubli est sans répit, car comme le dit un adage rwandais souvent cité durant ces commémorations : « Utagira umutima wibuka, azahembera ubwicanyi » (« Celui qui n’a pas de mémoire pour se souvenir nourrit la violence »).

En parallèle, Page Rwanda et ses partenaires accordent une attention particulière à la santé mentale des rescapés et de leurs familles. Revivre le souvenir du génocide chaque année est éprouvant :  » Il y a toujours quelque chose qui ravive les mauvais souvenirs et vous abat « , témoigne encore Marie-Angéline, une survivante rwandaise de Montréal​

Consciente de ces traumatismes, l’association organise des séances de soutien et invite des psychologues et travailleurs sociaux à accompagner les commémorations. Groupes de parole, ateliers de bien-être, conférences sur le traumatisme transgénérationnel : autant d’initiatives pour aider les survivants à porter le poids du passé.

Un réseau au service de la relève diaporique rwandaise

Aux côtés de Page Rwanda, le Réseau des professionnels rwandais du Canada (RPRC) joue un rôle complémentaire dans la consolidation de la diaspora. Présidé par Tony Nkurunziza, le réseau offre un espace sécurisant pour les Rwandais, notamment les jeunes fraîchement diplômés ou en début de carrière, qui souhaitent s’intégrer professionnellement tout en tissant des liens communautaires.  » Nous ne sommes pas qu’un réseau pour cadres établis. Nous accueillons aussi les étudiants, les chercheurs d’emploi, les nouveaux arrivants. L’insertion professionnelle est aussi une manière de se sentir chez soi « , explique Nkurunziza.

Le Réseau des Professionnels Rwandais du Canada organise des ateliers, des séances de réseautage, mais aussi des discussions en ligne avec des Rwandais œuvrant dans divers domaines, pour offrir des modèles inspirants. Le réseau soutient aussi des initiatives comme le Rwanda Youth Tour, un programme qui permet à des jeunes issus de la diaspora de visiter le Rwanda et de s’immerger dans son histoire, sa culture et ses réalités contemporaines.

Tony Nkurunziza / Président du Réseau des professionnels rwandais du Canada

Pour Tony Nkurunziza, cette démarche contribue à renforcer l’ancrage identitaire des jeunes générations, tout en les sensibilisant à l’importance du devoir de mémoire.  » On ne peut pas tourner la page si on n’a pas compris ce qui s’y est écrit !, dit-il. En agissant comme passerelle entre mémoire, engagement civique et ambition professionnelle, le réseau des professionnels rwandais du Canada se positionne comme un pilier de la transmission intergénérationnelle au sein de la diaspora rwandaise au Canada.

Les défis de mobilisation

Au fil des ans, la commémoration du génocide des Tutsi au Rwanda a dépassé le seul cadre de la communauté rwandaise de Montréal. Des partenariats intercommunautaires se sont tissés, notamment avec la communauté juive et la communauté arménienne qui ont, elles aussi, dans leur histoire, connu l’horreur génocidaire.  » Nos amis des autres communautés comprennent l’importance du souvenir – eux aussi ont juré “Plus jamais ça” « , souligne Sandra Gasana.

Il n’est pas rare de voir des représentants d’associations juives ou arméniennes participer aux cérémonies du 7 avril en signe de solidarité. D’ailleurs, PAGE Rwanda fait partie de l’Alliance pour la sensibilisation et la commémoration des génocides (AGAR) aux côtés du Centre commémoratif de l’Holocauste de Montréal et du Comité du génocide arménien, entre autres​

Et comme indiqué dans le site internet de la Ville de Montréal, ce front commun permet de « créer des ponts entre les rescapés de l’innommable », qu’il s’agisse des survivants de la Shoah ou du génocide arménien​. Ensemble, ces communautés partagent leurs expériences, apprennent les unes des autres et unissent leurs voix pour sensibiliser le grand public à la prévention des génocides.

Cependant, tout n’est pas rose : mobiliser d’autres communautés, notamment au sein de la diaspora africaine, reste un défi. Sandra Gasana reconnaît qu’il est parfois difficile d’attirer l’attention des autres communautés africaines sur le devoir de mémoire rwandais.  » On aimerait que nos frères et sœurs africains se sentent plus concernés, car ce qui nous est arrivé concerne l’humanité entière, pas seulement les Rwandais « , dit-elle, déplorant une participation encore timide de ces communautés aux événements commémoratifs.

Les raisons sont multiples – manque d’information, priorités différentes, voire fatigue vis-à-vis des tragédies – mais l’objectif de PAGE Rwanda est de rassembler au-delà des origines. Pour ce faire, l’association intensifie ses efforts de communication et multiplie les invitations lors des commémorations, afin de bâtir une mémoire collective inclusive.

– site internet : pagerwanda.ca

Pour écouter l’entrevue :

(c) CYEK – Institut Neoquébec (avr. 2025)

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