ANNAILA TELSAINT : POUR LE PAYS ! POUR LES ANCÊTRES !

Crie mon cœur, une arme traverse ma terre et elle appartient à la main qui a la même
couleur que moi. Noire.

Les Haïtiens mangent les chats et les chiens de Springfield. Le 10 octobre, Trump avait prononcé ces mots dans son discours, comme pour audience, le peuple mondial, dont moi. Le petit moi, qui connaît la vérité. Comprends dans la voix de l’autre, le mépris qui lui donne le courage de se sentir supérieur à nous. Le « nous » est 20 000 nouveaux arrivants qui ont débarqué dans la petite ville depuis 2020.

Marchons unis, marchons unis.

Ils marchèrent unis vers une nouvelle terre, laissant derrière eux leurs maisons, leurs souvenirs, et une partie d’eux-mêmes. Ils sont arrivés les mains libres, le cœur enchaîné à une perle des Antilles qui n’est plus. Dormant dans un lit d’enfant, sur un sofa d’un cousin éloigné et sur des draps dans le corridor de sa tante, voilà le nouveau visage des élites haïtiennes. C’était la guerre, et comme toute bonne guerre, il y a une humiliation qui s’y attache. En plus d’être vus comme des mangeurs de chats.

Est-ce que les Haïtiens mangent vraiment des chats et des chiens ?

En discutant avec mes semblables, j’ai conclu que cela dépend de l’endroit d’où tu viens sur l’île. Voilà, le cœur me serre. Comment se fait-il que, parmi toutes les histoires que connaît Haïti, que ce soit celle-là qui attire le plus d’attention ?
Impossible. Il fallait que je fasse quelque chose, mais quoi ? Pour ne pas te mentir, je ne connais pas mieux l’histoire haïtienne non plus. Oui, je suis née en Haïti, mais je connais mieux l’histoire du Québec que celle d’Haïti. Bon, je comprends mieux pourquoi le cœur me serrait. J’avais honte. Honte. Honte d’être étiquetée ainsi. Alors, j’ai pris mon ordinateur et j’ai cherché. Rien. Dans les livres, rien. Pourquoi est-ce si difficile de trouver mon histoire, celle de mes ancêtres ?

Dans nos rangs, point de traîtres
Un mois plus tard, avec une patience presque maladive, j’ai trouvé. La grande histoire d’Haïti, un documentaire de 1 heure 50 minutes sur l’histoire de mon pays d’origine.

Du sol, soyons seuls maîtres

J’ai du sang du peuple des Premières Nations. Pardon ? Oui, et tous les Haïtiens aussi.
Avant, Haïti s’appelait Kiskeya, qui veut dire Pays des hautes montagnes ; Mères de toutes les terres.

Marchons unis, marchons unis.

Les Tainos, mes ancêtres, nos ancêtres, ont vécu 5000 ans sur l’île avant l’arrivée des colons. Ils vivaient de la culture du maïs, du manioc, des haricots et des bonnes patates douces au cœur rosé. Ils pratiquaient la pêche, la chasse, faisaient de la poterie, des textiles, des sculptures et des bijoux. En d’autres mots, ils étaient dans un paradis infini de bonheur. Ils croyaient en diverses divinités et esprits. Un dieu créateur avec une variété de dieux et déesses associés à des aspects spécifiques de la vie quotidienne. Vous sentez la ressemblance ? Ils utilisaient des tambours, des maracas et des flûtes pour honorer leurs dieux et déesses. Je vois bien la ressemblance avec notre Vaudou.

Pour le Pays, pour les Ancêtres

Je ferme mon ordinateur, il me reste 1 heure 20 minutes du documentaire. Je sens déjà un changement dans mon corps. Peut-être dans mon cœur, je ne sais pas, mais je sens. Sentir que je ne suis pas moindre, que j’ai une histoire aussi qui me définit. Je m’accroche donc à ces images de ces êtres qui vivent dans mon esprit astral, ceux que je peux sentir et dont je ressens la fierté d’être leur descendante.

Marchons, marchons, marchons unis.

Je parle à mon frère au téléphone, il n’a pas eu la chance de nos protégés de Biden.
Non, lui, il est toujours assis sur sa chaise en plastique bleu, dans la cour entourée de quatre murs de béton qui lui protègent des balles qui sifflent dans mes oreilles. La peur monte, il me rassure que hier était pire. Aujourd’hui, mes petites sœurs et lui pouvaient voir autre chose que le ressort de leur matelas.

Pour le Pays, pour les Ancêtres

Les larmes coulent sur mes joues en silence, car crier est une perte de temps et d’énergie. La tristesse n’a pas besoin de bruit pour exister. Je reprends mon documentaire. Christophe Colomb avait un rêve lorsqu’il était jeune, il rêvait de devenir un marin. Colomb n’était pas un bon marin, la boussole toujours à l’envers. Il a été joliment surpris de découvrir l’île Hispaniola au lieu de l’Asie. La couronne espagnole avait confiance en lui pour découvrir de nouvelles terres afin de combattre les musulmans et conquérir des terres, des routes commerciales lucratives.

Pour les Aïeux, pour la Patrie

Le 3 août 1492, trois navires de 90 hommes naviguent sous les yeux du soleil et le sourire de la lune, à la recherche d’un bout de terre. Pied nu, torse ouvert vers le soleil, une flèche à la main, Yobo appelle les autres. Ils regardent venir à eux, des hommes presque mangés par l’océan, descendant de leurs navires.

Bêchons joyeux, bêchons joyeux

Le peuple Tainos accueille Colomb et son équipage. Ils leur donnent à manger, à boire, des vêtements convenables et un toit pour le repos. Après une journée sur l’île, Christophe Colomb comprend qu’il est au paradis. Il embarque quelques hommes avec lui et quelques Tainos afin de visiter les environs. Il découvre la République dominicaine et Cuba. Heureux d’être celui qui a découvert le trésor de la couronne, il écrit à la couronne : cette île est le paradis sur Terre avec des terres fertiles, de l’or en abondance, un climat agréable…

Quand le champ fructifie.

Christophe Colomb retourne en Espagne afin de montrer ses trouvailles. Il amène avec lui des animaux, de l’or, des fruits exotiques et des Tainos. Il laisse derrière lui quelques hommes pour surveiller ses trouvailles.

L’âme se fortifie

Heureux, on le félicite. On fête sa grandeur, son intelligence. Oh, qu’il est bon ! La couronne est généreuse cette fois-ci pour son retour sur l’île. Il part avec 17 navires. On y trouve : 1200 colons, des soldats, des agriculteurs et des prêtres. Dans leurs poches se trouvent des bétails, des graines et des femmes. Ils étaient prêts à établir une colonie autonome.

Bêchons joyeux, bêchons joyeux

Je ferme mon ordinateur, les yeux rouges de rage. Pourquoi ? Les traumatismes générationnels. C’est comme quand je regarde un film sur l’esclavage. Moi, une personne calme, je deviens une boule de colère qui déambule dans les rues de Montréal avec la même rage dans les yeux. J’ai arrêté les films sur l’esclavage, depuis.

Pour les Aïeux, pour la Patrie

Je m’assois à mon bureau, regarde par la fenêtre. La neige tombe sur le visage d’un petit écureuil qui est trop occupé à ronger sa noix pour être dérangé par les flocons qui se posent sur son nez. Cette belle image me calme et je garde ce moment d’apaisement pour continuer la suite.
Les colons ont extorqué la sueur des indigènes en leur faisant travailler sur leurs propres terres, jour et nuit. Certains y sont restés. Ne sachant pas comment cultiver cette terre, les colons cherchaient une solution. Ils cherchaient des travailleurs. Ils cherchaient des esclaves.

Bêchons, bêchons, bêchons joyeux

Le Ghana, le Mali, le royaume du Bénin et le royaume du Congo. Jolie. J’ai un sourire aux lèvres. Je me regarde dans le reflet de mon écran. Mes grosses babines viennent sûrement du Congo. La fierté m’embrasse et je découvre les Fon, Yoruba, Akan, Igbo et Mandingue. Ces noms me bousculent doucement vers un passé inconnu. Je suis au 6e siècle. Un conflit. Un fils. Le fils du roi Agazou a conduit son peuple Fon à Abomey où il fonde le Royaume du Dahomey. Cette grande puissance a attiré les yeux d’autrui.
Le royaume a été incorporé à la colonie française du Dahomey. Mais comme un roi n’est pas un paysan, ils ont obtenu leur indépendance en 1960 pour devenir la République moderne du Bénin.

Pour les Aïeux, pour la Patrie

C’est vrai que les Haïtiens ont beaucoup du peuple béninois. La spiritualité vaudou.
Pour eux, Vaudin. Ils accordent beaucoup d’importance à la femme dans la vie sociale, économique, religieuse et politique. Comme les célèbres Amazones du Dahomey. Une unité d’élite entièrement féminine qui a servi le royaume aux 18e et 19e siècles.
Je frotte mes yeux, surprise. Elles ont vraiment existé. La fierté me redresse la colonne et ma posture est moins imposteur.

Pour le Pays et pour nos Pères

Pour nos ancêtres. L’histoire se répète, mais j’ai l’impression qu’elle ne se répète pas de la même manière, car la langue qui nous la racontait se salissait de mensonges.

Petit pays, je t’aime beaucoup, petit, petit courage, on s’en vient.
Cette première écriture sur Haïti prend fin ici, mais je reviendrai avec la suite. C’est mon cadeau à mon pays d’origine pour le mois de l’histoire des Noirs.

(c) Annaila Telsaint – Institut Neoquébec (fév. 2025)

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(*) Annaila Telsaint par elle-même : « Animée par ma passion et ma détermination sans faille, j’ai tiré mes plus grandes leçons de vie des expériences elles-mêmes. Peu importe où celles-ci me mèneront, je sais que je trouverai ma place car j’aime être entourée des autres. Avec ma joie et mon désir de créer et de m’épanouir, je considère le monde comme un film dont j’apprécie chaque instant de sa beauté. »

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