Mardi 24 septembre 2024, l’on apprenait avec stupéfaction le départ à la retraite du SPVM (Service de police de la Ville de Montréal) du Commandant Patrice Vilcéus.

Engagé au sein du service de police de la métropole depuis 30 ans, c’est en adressant une lettre en interne (lire la lettre plus bas) à ses collègues et à sa hiérarchie, que Patrice Vilcéus, natif des Gonaïves en Haïti, a décidé de quitter la police montréalaise. Il n’a pas « claqué » la porte, car il part « sans amertume ».

Néanmoins, Patrice Vilcéus part, après avoir écouté sa « conscience » et gardé sa « dignité« , avec le coeur gros et lassé face à des maux qu’il qualifie de « cancer qui ronge le SPVM » : la gestion malsaine des carrières à l’instar des «  évaluations excessivement strictes envers certains et les traitements plus favorables envers d’autres », la prégnance du racisme au sein de l’institution policière… à cause de « gestionnaires du surplace qui banalisent la pensée critique ne sont pas nombreux, mais ils occupent des positions stratégiques » écrit-il.

Qui est Patrice Vilceus ?

Patrice Vilcéus arrive à Montréal à l’âge de quatre ans avec ses parents. Adolescent, il intègre la Ligue navale, puis les cadets de la Marine royale canadienne. Déjà, une vocation se profile à l’horizon et l’appel de l’uniforme se fait sentir.

Commandant de l’unité Eclipse

En 1994, il est embauché par le Service de police de la Ville de Montréal, au district 31. Sa carrière l’amène à travailler dans différentes unités au sein du SPVM et à relever des défis aussi complexes que variés. Après son passage à titre d’agent d’infiltration durant trois ans, il devient sergent-détective aux enquêtes, où il supervise plusieurs enquêtes d’envergure reliées au crime organisé et aux produits de la criminalité. Il gère aussi, notamment, les équipes des agents d’infiltration en matière de stupéfiants. Après une affectation de deux ans aux enquêtes internes à la Direction de l’intégrité, Patrice Vilcéus devient le commandant de l’unité Éclipse pendant deux années.

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Lire l’intégralité de la lettre de Patrice Vilceus :

LA RETRAITE SANS BATTRE EN RETRAITE

Un très grand poète et chanteur écrivait un jour qu’il « faut savoir quitter la table lorsque l’amour est desservi (…) garder toute sa dignité (…) malgré ce qui nous en coûte, s’en aller sans se retourner face au destin qui nous désarme… » Les mots de Charles Aznavour résonnent en moi aujourd’hui alors que je m’apprête à quitter le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Des années durant, j’ai fait un métier pour lequel j’ai beaucoup sacrifié parce que je voulais travailler sur les perceptions qui sont souvent le fruit de biais, conscient ou non. Car contre les vents et marées propres à l’organisation, j’ai su « cacher ma peine, sous le masque de tous les jours et retenir les cris de haine, qui sont les derniers mots d’amour ». Je prends cette décision parce que je suis à l’écoute de ma conscience et de ma dignité. Ce fut un honneur de servir mon organisation, ma collectivité et ma ville, qui m’ont offert tant d’opportunités et qui m’ont permis de m’épanouir ainsi que de mettre des mots sur des ressentis pour bien comprendre la mission que je m’étais donnée.

Au cours de ces dernières années, vous avez été nombreux à me faire part de l’impact que j’ai eu sur vos quotidiens. Grâce à vos témoignages, vous m’avez donné le courage d’agir et d’inciter l’organisation à se pencher sur certains signaux faibles. En tant qu’éveilleur de conscience, j’ai œuvré pour combattre toutes les formes d’exclusion injuste et les traitements inéquitables. Avec ce soutien, je n’ai pas hésité à critiquer les évaluations excessivement strictes envers certains et les traitements plus favorables envers d’autres, pour garantir l’égalité des chances pour tous.

The way you do anything is the way you do everything.

Ainsi tout au long de cette carrière, j’ai veillé à ne pas rester un simple observateur face au racisme, au profilage racial et aux défis sociaux. Mon objectif a été de briser les tabous et d’introduire des approches plus nuancées, afin de tenir compte de tous les aspects pour faire grandir l’organisation. Les recherches scientifiques commandées par le SPVM sont un exemple flagrant de ce cancer qui ronge l’organisation, et le jugement de la Cour supérieure présidée par l’honorable juge Dominique Poulin en est l’apothéose.

Comme beaucoup le pensent, la force d’une organisation se manifeste dans sa capacité à accueillir la divergence d’opinion et tenir compte de toutes les réalités dans ses orientations, tout en favorisant le sentiment d’appartenance de chacun. Une organisation forte ne cherche pas à faire taire certains membres, mais protège chacun contre les risques d’ostracisation.

Le SPVM doit se distancier de la pensée unique et accorder davantage d’importance à la pensée divergente, génératrice de créativité et d’options multiples. En d’autres termes, il est crucial de dépasser les résistances de certains gestionnaires qui défendent le statu quo avec des visions stériles, car ces derniers empêchent l’organisation de déployer pleinement ses capacités, de se renouveler et de se moderniser face aux nouvelles réalités.

Ces gestionnaires du surplace qui banalisent la pensée critique ne sont pas nombreux, mais ils occupent des positions stratégiques, leur capacité de nuisance est donc grande. Ils n’hésitent pas à faire obstacle à la progression de certains membres et à provoquer le départ d’autres. Ils sont très vocaux et se comportent comme s’ils représentaient à eux seuls le SPVM. Le « changement » qu’ils incarnent empêche l’organisation d’avancer, ou tout au plus, la ralentit considérablement. Avec leur vision étroite et un leadership non incarné, leur autorité hiérarchique est souvent le seul levier pour faire obéir les subalternes. Ils sont responsables de problèmes tels que la détérioration de la santé mentale, des atteintes à la réputation et contribuent au désengagement des membres pour favoriser leurs aspirations personnelles.

Le rôle d’un leader est d’élever l’ensemble de l’organisation et de créer un environnement qui profite à tous ses membres, contribuant ainsi à leur réussite et à une meilleure capacité de service. Il est impératif de remettre la valorisation du personnel au premier plan et de réévaluer notre vision axée sur la gestion de performance pour engendrer une gouvernance renouvelée. Un changement d’image est nécessaire et il doit être authentique.

Malgré les crises complexes auxquelles le SPVM est confronté, comme le souligne clairement le plan stratégique 2024-2026, certains dirigeants refusent l’opportunité de s’adapter au 21e siècle. Ce plan indique que l’interconnexion des problématiques pourrait affecter notre organisation, son fonctionnement et surtout notre manière de traiter les enjeux. S’ouvrir à la divergence d’opinion et à la dissidence intellectuelle n’est pas un manque de loyauté, une critique de l’establishment, une nuisance ou un désaveu du grade, mais bien une nécessité pour agir pro activement pour l’avenir.

Pour éviter d’accroître la méfiance et la fragmentation sociale, le SPVM souhaite servir toutes les populations. Je soutiens cette vision, car elle implique de mettre fin au travail en silo, qui n’est ni propice au succès ni catalyseur de changement ou de ralliement du personnel. Cela permettra à l’organisation de mettre l’humain au centre de son action policière, de miser sur une mobilisation réelle tant à l’interne qu’à l’externe et de ne pas violer la confiance fondamentale du public envers lui. Cependant, comment servir toutes les populations, si certaines à l’interne ne sont pas écoutées, respectées et sont au contraire discréditées?

Pour servir toutes les populations, surtout dans un contexte de pénurie de personnel, ignorer l’expérience et la mémoire organisationnelle est une erreur coûteuse. Le respect, l’intégrité et l’engagement se manifestent également par la reconnaissance et par une écoute active, afin de mieux répondre aux besoins de toutes les populations.

Je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j’apprends. – Nelson Mandela

SPVM, je t’ai beaucoup donné et tu as beaucoup pris! Malgré tout, je ne quitte pas avec amertume. C’est avec un regard rempli de gratitude que je fais la rétrospective de ma carrière, car j’ai eu la chance de côtoyer et de connaitre des personnes dignes, animées par le désir de servir et de protéger, qu’ils soient policiers ou civils, et qui sont fiers de faire partie de cette organisation. Très tôt, j’ai eu des opportunités de travail qui resteront gravées à jamais dans ma mémoire : un salut tout spécial aux Caméléons d’hier, d’aujourd’hui et de demain (CFFC)!

Ayant travaillé 28 ans dans des sections essentiellement aux enquêtes sur mes 30 années de service, j’ai eu la chance de découvrir plusieurs facettes de notre organisation. Je suis fier d’avoir redonné à Édouard Anglade sa place dans notre histoire, d’avoir mis sur pied les festivités du mois de l’histoire des Noirs et d’avoir contribuer à faire hisser le drapeau Panafricain devant le quartier général (QG). Dire que ma carrière fut une balade au parc serait une mystification, car certains moments ont été difficiles. Cependant, j’ai eu d’extraordinaires partenaires de travail qui m’ont permis de me dépasser ainsi que quelques bons gestionnaires. J’ai aussi rencontré des gestionnaires atteints du syndrome de la promotion Focus (principe de Peter), qui se reconnaitront en lisant ces quelques lignes. C’est dans la douleur que nait la résilience, je suis un gagnant qui a beaucoup appris, surtout au cours des 7 dernières années et cette leçon me servira à œuvrer pour un monde meilleur, car nous avons tous un rôle à jouer pour le changement.

Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui peut l’être, mais surtout la sagesse de distinguer l’un de l’autre. (Marc Aurèle)

S’engager contre une injustice est essentiel. C’est pourquoi, j’ai contribué à mettre en place le Groupe d’action pour le respect des différences (GARD) ainsi que le Regroupement des employés (es) noirs (es) et afrodescendants (RENA).

Aux membres de ces groupes : vous accomplissez un travail fondamental en donnant une voix à ceux qui n’en ont pas, notamment aux invalidés, aux invisibilisés et aux discrédités de la culture organisationnelle. Maintenez votre belle rhétorique d’ouverture, qui permet aux esprits collaboratifs de percevoir des solutions là où la situation semble embrouillée. Soyez vigilants. Merci pour votre abnégation et votre implication à représenter toutes les minorités silencieuses. Que votre foi soit plus forte que la peur.

Gratitude l’étendard d’une rétrospection.

J’suis pas un commandant populaire; je suis rien qu’un gars ben ordinaire. Pour moi, un mot s’impose. MERCI!

MERCI, à ceux qui s’occupent de l’aménagement de nos espaces de travail, à la propreté de nos locaux, aux bons fonctionnements de nos véhicules, aux agents de sécurités du QG, à l’analyse des données et du renseignement. MERCI à nos équipes de communication, à nos chercheurs, aux préposé(es) aux appels des citoyens, aux coachs en interpellation.

MERCI à ceux qui répondent aux appels, à ceux qui font des enquêtes, aux superviseurs et gestionnaires bienveillants, à ceux qui veillent à nos conditions de travail, à nos adjoints (es) qui font mille et une choses et toute autre tâche connexe. MERCI à nos conseillers (ères) et autres employés civils, à nos missionnaires pour votre engagement international.

MERCI au PAPP (Merci Dr. Martin et Louis-Francis), à la Gendarmerie Royale du Canada pour ce dernier tour de piste (clin d’œil à HMC). MERCI à mon directeur Fady Dagher et son conseiller Cyrille Sardais, j’ai espoir qu’avec votre vision, vous pourrez amener des changements positifs. À vous toutes et tous, je salue votre précieuse collaboration et encore une fois, MERCI

Aux piliers de ma vie

Un grand MERCI à la stratège visionnaire en coulisse, qui m’a fait realiser que mon héritage n’est pas terminé, car je suis ce leader au pinnacle en devenir. Parce que je sais d’où je viens, je sais où je vais! Un MERCI tout spécial à mes parents, mes frères et sœurs, my Brown eyed girl, mes enfants, ma famille élargie et mes amis (es). Que la mer soit calme ou agitée, sous un ciel bleu ou face aux raids des alizés, vous avez toujours été à mes côtés. Votre support inconditionnel a toujours fait la différence, MERCI pour cette grande preuve d’amour.

Mic drop! Peace out!

Cmdt Patrice Vilcéus

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Au moment où il quitte le SPVM, Patrice Vilceus est « prêté » à la GRC (Gendarmerie Royale du Canada) où il contribue à la mission Haïti afin d’appuyer les forces policières locales à se reconstruire et à stabiliser le pays.

(c) Cyrille Ekwalla / Institut Neoquébec – Sept 2024

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