Le 6 juin dernier, la France a célébré le 80e anniversaire du débarquement des Alliés sur les plages de Normandie, événement marquant la libération de la France du joug nazi. Cette commémoration, présidée par Emmanuel Macron, a accueilli de nombreux dignitaires occidentaux, à l’exception notable de Vladimir Poutine. Cependant, cette célébration a été entachée par l’absence flagrante de reconnaissance des soldats noirs de l’Empire, souvent relégués à une cérémonie plus modeste en Provence, loin des projecteurs médiatiques.

Pourquoi deux commémorations ? Cette division reflète une asymétrie profondément enracinée dans la mémoire collective française. Le Débarquement de Normandie, également connu sous le nom de D-Day, est largement célébré, tandis que le débarquement de Provence, qui a eu lieu en août et impliquait de nombreux soldats africains (notamment les tirailleurs sénégalais), est souvent passé sous silence. Ces soldats, issus des colonies de l’Empire français, ont joué un rôle crucial dans la libération de la France, remontant la vallée du Rhône et les Alpes pour rejoindre les contingents alliés venus de Normandie.

Une politique de blanchiment des troupes

En 1944, le gouvernement français a mis en œuvre une politique de « blanchiment » des troupes, remplaçant les tirailleurs sénégalais de la 9e division d’infanterie coloniale par des résistants ou des jeunes volontaires français. Cette manœuvre visait à exclure les soldats noirs des honneurs de la victoire finale. Les États-Unis, où la ségrégation raciale était encore en vigueur, auraient également exercé des pressions pour écarter les soldats noirs africains ou américains.

Cette double commémoration pose un problème majeur de transmission mémorielle. Elle véhicule l’idée que certains sacrifices sont plus dignes de reconnaissance que d’autres. Les grandes célébrations attirent l’attention internationale, forgeant un imaginaire collectif où les véritables héros sont ceux du débarquement de Normandie, reléguant les combattants africains au second plan. Cette asymétrie se manifeste également dans l’éducation, où l’engagement des soldats africains est souvent réduit à quelques lignes dans les manuels scolaires.

L’histoire des tirailleurs sénégalais

Les tirailleurs sénégalais, originaires de diverses colonies africaines, ont été créés en 1857 par Louis Faidherbe, gouverneur du Sénégal. Durant la Première Guerre mondiale, environ 200 000 soldats africains ont été recrutés en Afrique occidentale française, participant à des batailles cruciales comme celle de Verdun. Pendant la Seconde Guerre mondiale, environ 350 000 combattants noirs ont pris part aux combats, mais leur contribution a souvent été minimisée.

Le massacre de Thiaroye et la cristallisation des pensions

Le massacre de Thiaroye en 1944, où des soldats africains réclamant leurs pensions furent abattus par l’armée coloniale française, est un épisode tragique qui a longtemps été ignoré. Il a fallu attendre 2012 pour que la France reconnaisse ce massacre. En outre, la « cristallisation » des pensions, mise en place en 1959, a bloqué les montants des pensions des soldats noirs, entraînant une inégalité de traitement qui n’a été corrigée qu’en 2007, sans rétroactivité.

Une mémoire à réparer

La reconnaissance des sacrifices des combattants africains ne devrait pas se limiter à des médailles ou à des cérémonies. Elle devrait inclure une réévaluation de leur place dans l’histoire française et une intégration complète de leur contribution dans la mémoire collective. Les paroles controversées de Nicolas Sarkozy en 2007 à Dakar, affirmant que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire », montrent combien il est crucial de corriger cette méconnaissance et de rendre justice à ceux qui ont combattu pour la France.

Les deux commémorations distinctes du Débarquement en Normandie et en Provence révèlent une histoire complexe et souvent négligée. Il est essentiel de reconnaître pleinement le rôle des soldats africains dans la libération de la France et de réparer les injustices historiques à leur encontre. Cette reconnaissance est cruciale non seulement pour l’honneur de ces hommes, mais aussi pour une compréhension complète et juste de l’histoire de France.

(c) Salimatou-Ismaël Tounkara (juin 2024)

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