Il est unanimement admis par tous les observateurs que le Québec ne peut rester insensible à la situation politique en France au lendemain de des récentes élections européennes et de ses répercussions en France ?
C’est partant de ce constat qu’une discussion animée par Cyrille Ekwalla – dans le cadre de l’émission radio « Neoquébec » diffusée tous les dimanches sur la radio montréalaise CIBL 101.5 FM – a eu lieu entre Laurie Beaudonnet, Nolywé Delannon et Salimatou Ismaël Tounkara. Elles ont exploré les répercussions desdites élections en France, marquées par la montée en puissance du Rassemblement National (RN) et la décision du président français Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale.
Quelles sont les raisons de cette crise politique, les stratégies du RN, la réaction de la gauche, et les implications pour le Québec et le Canada ? Tant de questions, auxquelles les trois femmes ont essayé de répondre.
Laurie Beaudonnet, professeure de sciences politiques à l’Université de Montréal, commence par expliquer que les élections européennes, qui sont normalement considérées comme de second ordre, ont pris une importance nationale cette fois-ci. En général, ces élections concernent le Parlement européen et sont souvent moins prioritaires pour les électeurs et les partis politiques. Cependant, le président Macron a décidé de nationaliser ce scrutin en en faisant un référendum sur sa politique nationale. La victoire du RN a conduit à une réaction rapide et drastique : la dissolution de l’Assemblée nationale et l’organisation de nouvelles élections. Pour Laurie Beaudonnet, cette décision est une « véritable anomalie politique« , car souligne-t-elle, il est inédit pour un président de réagir ainsi à des élections européennes.
Ce en quoi Nolywé Delannon, professeure en gestion internationale à l’Université Laval, est tout à fait d’accord. Elle ajoute que la montée du RN n’est pas surprenante compte tenu de la trajectoire historique de l’extrême droite en France et dans d’autres parties du monde. Elle critique la décision du président de dissoudre l’Assemblée nationale, arguant qu’elle reflète « une réaction politique plutôt qu’une nécessité institutionnelle ». Nolywé Delannon insiste sur le faite que le Rassemblement National a réussi à se présenter comme un parti nationaliste et social, attirant ainsi une large base électorale, notamment parmi les catégories de personnes ayant du mal à boucler leurs fins de mois.
Prenant part part à la discussion par téléphone, Salimatou Ismaël Tounkara, doctorante en relations internationales, évoque les frustrations accumulées par les Français au cours des deux mandats de Macron. Elle cite « les mouvements des gilets jaunes, les conditions de chômage durcies, les émeutes de jeunesse suite au décès de Naël, et l’augmentation des prix due à la guerre en Ukraine » comme des facteurs ayant alimenté la montée du RN. D’autre part, elle exprime sa crainte que cette dynamique ne conduise à une cohabitation avec le RN, ce qui serait un grand choc pour la France.
Le Rassemblement National reste un parti raciste,
islamophobe et antisémite
L’échange aborde également les stratégies du RN, notamment la dédiabolisation opérée par Marine Le Pen. Laurie Beaudonnet explique que Le Pen a travaillé à donner au RN une dimension sociale, en promettant des politiques favorables aux retraites et en plafonnant les prix de l’énergie, ce qui a aidé le parti à attirer une base électorale plus large. Cependant, Laurie Beaudonnet rappelle que le RN reste ancré dans une idéologie xénophobe et traditionaliste, avec des racines profondes dans le nationalisme et l’antisémitisme.
Les intervenantes discutent également du rôle des médias et de la droite traditionnelle dans la normalisation du discours du RN.
Nolywé Delannon souligne que Nicolas Sarkozy, ancien président français, a contribué à cette normalisation en utilisant des arguments similaires pour attirer les électeurs du RN. Elle avertit que cette stratégie risque de renforcer l’extrême droite plutôt que de la contenir, citant l’effondrement de la droite traditionnelle en France comme un exemple.
La Gauche doit répondre aux besoins de justice sociale des électeurs
La place de la gauche dans cette dynamique est également abordée. Les deux professeures Laurie Beaudonnet et Nolywé Delannon soulignent que la gauche française, longtemps divisée, a réussi à former un nouveau Front populaire, une coalition de partis de gauche comprenant le Parti socialiste, les Verts, la France insoumise, le Parti communiste et le Nouveau parti anticapitaliste. Cette coalition, malgré ses défis, représente une alternative politique face au RN et à la majorité présidentielle de Macron.
Pour Laurie Beaudonnet, il y a de l’espoir que cette coalition pourra mobiliser les électeurs autour d’un programme de gauche cohérent, mettant en avant des politiques sociales et inclusives.
Ce à quoi Salimatou Ismaël Tounkara ajoute que la gauche doit répondre aux besoins de justice sociale exprimés par les électeurs. Elle rappelle que la gauche a perdu une partie de son électorat en s’éloignant des préoccupations des classes populaires. La nouvelle coalition doit donc se concentrer sur des politiques qui améliorent concrètement le quotidien des Français pour regagner leur confiance.
Et le Québec et le Canada dans tout ça ?
Nolywé Delannon note que les débats politiques en France, notamment sur l’immigration et la laïcité, influencent fortement les discours et les politiques au Québec. Elle souligne que les mouvements d’extrême droite sont de plus en plus internationalisés, et que le Québec n’échappe pas à ces tendances. Elle cite des exemples de liens entre des mouvements politiques au Québec et en France, notamment des échanges d’idées entre jeunes militants du Parti québécois et du RN.
Et Laurie Beaudonnet met en garde contre les dangers de l’instrumentalisation de l’immigration dans le débat politique, rappelant que cela peut conduire à une normalisation des discours xénophobes et à un renforcement de l’extrême droite. Elle souligne que la France a connu une augmentation de la participation aux élections européennes cette année, ce qui pourrait indiquer un regain d’intérêt pour la politique parmi les électeurs.
Quant à Salimatou Ismaël Tounkara, elle appelle le Canada à ne pas suivre les mauvaises politiques françaises en matière d’immigration et de laïcité. Elle souligne que le Canada a une politique d’immigration choisie, qui sélectionne des candidats ayant des compétences particulières et la capacité de subvenir à leurs besoins. Elle avertit contre l’utilisation de l’immigration comme bouc émissaire pour les problèmes sociaux, soulignant que cela pourrait nuire à l’intégration et à la cohésion sociale.
En conclusion, la discussion ‘interview met en avant la mobilisation sociale et politique en France face à la montée du RN. Les invités expriment une inquiétude partagée pour l’avenir politique de la France, tout en appelant à une vigilance et une action accrue au Québec pour contrer les idéologies d’extrême droite. Ils soulignent l’importance de proposer des alternatives politiques inclusives et de répondre aux besoins de justice sociale pour regagner la confiance des électeurs et renforcer la démocratie.
Pour écouterla discussion, cliquez sur le lien suivant :
(c) Institut Neoquébec – Juin 2024