Dimanche 21 avril dernier , au cours de la soirée du Gala Dynastie Prix Médias, Tamara Thermitus a été distinguée par le Prix Impact Dynastie, une reconnaissance qui transcende la portée de ses articles d’opinion ou même sa fonction de Senior Boulton Fellow à la Faculté de droit de l’université McGill.

Par cet acte, la Fondation Dynastie a sûrement voulu saluer son apport intellectuel, mais aussi, et à mon avis de façon plus marquante, la résilience et le courage exceptionnels dont fait preuve Tamara Thermitus depuis des années. En plus de mettre en avant ce qu’elle incarne également, soit un symbole d’espoir pour de nombreuses femmes noires, une qualité indéniablement célébrée à travers cette distinction.

Résilience, courage et … espoir

Tamara Thermitus est une avocate chevronnée et respectée au sein du ministère de la Justice canadien, lorsqu’elle est approchée en 2016 pour diriger la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec (CDPDJ). Connue pour son intégrité et son engagement contre la discrimination, son choix – aux yeux de Philippe Couillard, alors Premier ministre du Québec – marquera un tournant potentiel pour l’institution, qui luttait contre des critiques de manque de diversité et d’efficacité. Elle sera donc officiellement nommée le 20 février 2017 à la suite d’un vote unanime à l’Assemblée nationale. Elle devient alors la première femme noire à présider cet organisme essentiel dans notre société.

Vingt-et-un mois plus tard, soit le 30 novembre 2018, elle démissionnera de son poste.

Avant de rejoindre la CDPDJ, Thermitus s’était distinguée par son travail significatif sur la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens et avait été une figure clé de la Commission de vérité et réconciliation de 2008 à 2015 (1). Des fonctions et des responsabilités qui démontrent à souhait l’engagement profond de cette avocate émérite envers les questions de justice sociale et les droits humains.

Tamara Thermitus et la CDPDJ : la mayonnaise ne prend pas

À sa prise de fonction à la CDPDJ, Tamara Thermitus se rend d’emblée compte qu’il y a un gros problème qu’elle va devoir résoudre : la culture organisationnelle au sein de l’institution. L’avocate a hérité d’une institution aux prises avec des problèmes de gouvernance et une lenteur dans le traitement des plaintes. Elle entreprend alors des réformes ambitieuses, visant à rationaliser les processus et à améliorer la réactivité de la Commission. Cependant, ses efforts rencontrent une résistance interne significative, notamment en raison de sa volonté de restructurer les postes de gestion pour éliminer le copinage et améliorer l’efficacité.

Dans la foulée apparaissent des plaintes anonymes qui l’accusent de mauvaise gestion et de créer un environnement de travail hostile. La cassure est nette entre une partie du personnel et la présidente de la Commission. Les politiques et certains medias s’en mêlent.

Enquête du Protecteur du citoyen et silence du gouvernement

Une enquête initiée et menée par le Protecteur du citoyen s’enclenche, suite aux différentes allégations de harcèlement psychologique et de mauvaise gestion imputées à Tamara Thermitus par des employés de la CDPDJ de manière anonyme. En novembre 2018, après une période de turbulences et sous la pression croissante de ses détracteurs, Tamara Thermitus a remis sa démission. Et dans un extrait de sa lettre, elle disait notamment ceci : « Lors de mon passage à la Commission, j’ai notamment dénoncé l’octroi d’avantages indus accordés à certains employés et la création de postes qui ne se justifient pas au sein de cet organisme public et qui ont été créés pour avantager certains employés aux dépens des contribuables, ce qui a été tu et ignoré à l’externe mais qui a provoqué de fortes réactions à l’interne », écrit la démissionnaire. Il y a, selon elle, une « grande nécessité de changement » à la CDPDJ car sa performance est « des plus préoccupantes malgré la présence d’employés dévoués » (2).

Trois rapports ont été issus de cette enquête du Protecteur du citoyen, critiqué pour son manque d’équité, et dont la teneur n’a à ce jour, toujours pas été rendue publique, laissant un voile sur les véritables circonstances qui ont amené l’avocate à démissionner de son poste. Et pour rappel, même si Tamara Thermitus a « gagné une manche », son affaire face au Protecteur du citoyen est toujours pendante en cour.

Tamara Thermitus avait introduit une « demande d’annulation de l’enquête et des trois rapports qui en découlait », une demande que le Protecteur du Citoyen avait jugé « irrecevable ». En Cour Supérieure, cette décision fut cassée par le juge André Prévost, par ces motifs « On peut raisonnablement se questionner sur les motifs ayant amené le Protecteur du citoyen à (i) d’abord conclure à la commission d’actes répréhensibles de la part de Me Thermitus et (ii) ensuite transmettre à la ministre de la Justice une copie du Rapport 1 et ce, avant même que Me Thermitus ait été entendue. ». (3)

En d’autres termes, d’une part la preuve d’actes repréhensibles de la part de Tamara Thermitus à la CDPDJ n’a pas établie par le Protecteur du citoyen, puisqu’il n’a pas entendu toutes les parties concernées, dont celle sur lesquelles pèsent des allégations de harcèlement, etc… d’autre part, le gouvernement a entre les mains un rapport biaisé qui concerne une citoyenne dont la nomination passe le crible de l’ensemble de l’assemblée nationale, mais ne réagit pas. Pourquoi ?

Les leçons à tirer et les combats à mener…

Aujourd’hui, avec le recul, nul ne peut réfuter le fait : au-delà de toutes les raisons, Tamara Thermitus a été victime de misogynoir. Les difficultés et les défis qu’elle a rencontrés en tant que présidente de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec peuvent être vus à travers ce prisme de misogynoir.

Et dans son cas, il est manifeste. Il comprend non seulement des confrontations avec des préjugés et des stéréotypes raciaux mais aussi des attitudes sexistes qui remettent en question son autorité et sa compétence en raison de son genre et de sa couleur de peau. Cette intersectionnalité a exacerbé les défis auxquels elle a dû faire face, contribuant à un environnement de travail où elle a été particulièrement vulnérable à des critiques et des attaques qui, selon elle, étaient teintées à la fois de racisme et de sexisme.

L’histoire de Tamara Thermitus à la CDPDJ incarne la complexité des luttes contre la discrimination institutionnelle et le racisme systémique. Son passage à la Commission, bien que controversé, souligne la nécessité de réformes continues et du soutien institutionnel pour ceux qui tentent de les mettre en œuvre. Son héritage, bien que marqué par des controverses, rappelle l’importance cruciale de la persévérance dans la lutte pour la justice sociale et l’équité au sein des structures de pouvoir et sur l’importance de soutenir les leaders issus des minorités dans des rôles de haut niveau.

(1) https://youtu.be/7cjNMNK5Z3U

(2) article de La Presse https://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-faits-divers/201811/29/01-5206051-commission-des-droits-de-la-personne-tamara-thermitus-demissionne.php

(3) La décision du juge Prévost de la Cour Supérieure : https://www.canlii.org/fr/qc/qccs/doc/2019/2019qccs5205/2019qccs5205.html?autocompleteStr=thermitus&autocompletePos=1&resultId=f99211abb19b4b2098c808a5555ce8ac&searchId=2024-04-25T01:54:35:750/721f0587ac4047018457873bed90ecfd

(c) Neoquebec – 2024

 

LES MOTS DE TAMARA THERMITUS – Tentative de décryptage d’un discours

Tamara Thermitus
(c) Manoucheka Lachérie

« Il faut parler de la violence, de cette violence constante qu’est le racisme. Violence raciale qui nous accable et qui nous vole nos vies et notre humanité. Cette violence qui nous force à vivre dans une double vie puisque constamment dans une double conscience : vivre une vie sous la loupe de l’oppresseur. Il faut rester debout sur le champ de bataille de la dignité. Se battre contre ce regard rempli de mépris dont le dominant est l’artisan, car c’est bien de mépris dont il s’agit. »

Ces propos de Tamara Thermitus, exprimés dans son discours de remerciement, résonnent profondément avec les expériences et les défis qu’elle a rencontrés durant son passage à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec (CDPDJ) et ce qui a entraîné da démission. Ces mots mettent en lumière la lutte continue contre le racisme systémique et le sexisme, et la manière dont certains facteurs, certains constitutifs de la société interagissent – volontairement ou pas –  pour impacter la vie des personnes racisées, en particulier des femmes noires.

Un contexte de violence raciale

Tamara Thermitus décrit le racisme comme une forme de violence constante, une perspective qui souligne l’impact dévastateur et continu du racisme sur les individus et les communautés. Pour elle, le racisme n’est pas seulement une série d’actes isolés ou de préjugés, mais une oppression omniprésente qui « vole nos vies et notre humanité. » Ce sentiment reflète les tensions et les défis qu’elle a affrontés à la CDPDJ, où elle a été confrontée à des résistances internes et des accusations qui semblent avoir été influencées par des préjugés raciaux et sexistes.

Vivre sous une double conscience

L’idée de vivre « dans une double conscience » fait écho à la notion de W.E.B. Du Bois, qui décrit l’expérience des Afro-Américains de devoir constamment regarder soi-même à travers les yeux d’une société raciste. On peut penser que pour Tamara Thermitus, cette double vie dont elle parle ici, implique de naviguer dans un monde où elle doit constamment être consciente de la manière dont les autres la perçoivent, tout en essayant de rester fidèle à elle-même et à ses valeurs. Cela peut être particulièrement épuisant et démotivant.
Une situation qui peut-être ressentie par toute personne – souvent des personnalités publiques noires –  ayant été confrontée à de la critique négative.

La lutte pour la dignité

En invitant les uns et les autres, particulièrement les personnes victimes de racisme et diverses discriminations à « rester debout sur le champ de bataille de la dignité« , la lauréate du Prix Impact Dynstie 2024, souligne la résilience nécessaire pour combattre le racisme et le sexisme. Pour elle, ce combat est contre « ce regard rempli de mépris dont le dominant est l’artisan« . Cette partie de son discours peut être interprétée comme un appel à résister activement à l’oppression et à s’engager dans la lutte pour les droits et la justice.
C’est dans ce sens que le parcours et l’histoire de Tamara Thermitus peuvent être inspirants et nous amener à y voir un espoir, dès lors qu’on en tire les bonnes leçons.

(c) Cyrille Ekwalla

Related Posts

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.